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16 mars 2007
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Chez "Ebène cosmétique", la course à la peau claire ne connaît pas la crise

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16 mars 2007

BOUAKE (Côte d'Ivoire), 16 mars 2007 (AFP) - Mariam en veut pour "plaire aux garçons", Fatou en a trop mis et s'est brûlée, Adama compatit et se frotte les mains : à Bouaké, les très populaires crèmes à blanchir la peau ne font pas toujours le bonheur des dames, mais font les affaires d'"Ebène cosmétique".

Sur un marché de Bouaké (centre) qui connaît à nouveau une certaine effervescence, mais garde les stigmates de la crise ivoirienne, la petite échoppe propre aux murs gris fatigués n'a pas de souci de clientèle.

Au comptoir, le vendeur Adama Kouyaté, 32 ans, voit défiler les pagnes colorés ou fripes arrangées des coquettes locales, et s'écouler les stocks d'une gamme très prisée en Afrique: les crèmes éclaircissantes pour la peau.

Il dit vendre chaque jour "des centaines" de pots "Méti-cée", "Vite-Fée", "Skin Light" ou "Dark and Lovely" de 700 à 8 000 FCFA (1 à 13 euros), venus d'Europe, d'Abidjan ou d'autres pays africains.

Pour Mariam Bakayoko, polo noir, jupe marine et larges boucles d'oreilles, ce sera du "H-20 jours" un "éclaircissant-embellissant" aux "extraits de carotte et d'avocat" censé "éclaircir la peau en 20 jours".

Autour d'elle, étalées au mur sur une dizaine de calendriers publicitaires, les porte-drapeaux de ces crèmes miracle, mannequins métisses au teint clair et bikini minimaliste, l'approuvent en silence de leur regard lascif.

"J'en mets depuis que j'ai 16 ans, explique Mariam, 18 ans et demi. "J'aime être claire, c'est à cause des garçons... Plus on est claire, plus on est abordée", dit-elle.

"C'est vrai, une femme claire c'est plus présentable. Car ce qui éclaircit attire le regard. Même si la femme n'est pas bien habillée", confirme Alpha Mamadi Camara, 38 ans, le collègue d'Adama.

Entre justement Fatou Koné, pieds nus poussiéreux et jupe verte tachée, qui vend des légumes à même le trottoir au pied des marches du magasin. Elle vient discrètement discuter avec Marie-Paule, la collègue d'Adama et d'Alpha.

"Regarde ses pommettes", dit Adama. La jeune fille baisse les yeux et regarde le sol, pour cacher comme elle peut le haut de ses joues, flétries et rougies par un gel censé "blanchir la peau en trois jours". "Eh Fatou, faut montrer ça!", insiste Adama. Vexée, elle regagne son trottoir dans un mot.

"Maintenant, pour elle, ça va être pire, ça va noircir au soleil", ajoute Alpha. "Le gel seul, sans crème, ça abîme la peau. Les produits moins chers, en général on vend, mais on conseille pas non plus, c'est trop fort", glisse-t-il.

A la caisse, Marie-Paule, 21 ans, ne se sent pas concernée. "J'aime pas les crèmes éclaircissantes. C'est pas cela qui fera que je trouverai un mari ou pas. Parce que l'amour, c'est pas une affaire de clair ou pas!", dit-elle.

"C'est pas vrai", répond Adama. "Les garçons veulent des femmes claires. Moi je veux pas une femme noire. Quand c'est clair, c'est propre!".

Le vendeur est plus hésitant sur les raisons de la très bonne tenue de ce commerce, qui se rapproche des niveaux d'avant la crise.

"Il y a plus de commerce, des gens sont revenus, donc il y a plus d'argent. Les maquis (restaurants locaux) ont rouverts le soir. Donc les filles s'apprêtent plus", avance-t-il.

Un peu plus tard dans la journée, un responsable local des services sociaux avancera une autre possibilité d'explication, moins avouable.

"Avec la crise, il n'y a plus de travail, plus de moyen de gagner de l'argent comme avant", explique-t-il. "De nombreuses femmes et filles ici ont versé dans la prostitution, et continueront avec le retour des cadres dans la ville. Il leur faut donc plaire un maximum pour gagner le plus possible".

Par Emmanuel DUPARCQ

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