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Claude-Eric Paquin (Fédération de la chaussure) : "En Chine, il y a une multitude de niches pour nos talents"

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17 oct. 2016

A la tête de la Fédération française de la chaussure (FFC), Claude-Eric Paquin évoque pour FashionNetwork le marché chinois de la chaussure, le potentiel de la créativité française dans le pays, et la nécessaire promotion concertée du savoir-faire tricolore.

Claude-Eric Paquin - MG/FNW


FashionNetwork : Le marché chinois est perçu comme difficile par les marques françaises. Qu’en est-il dans la chaussure ?

Claude-Eric Paquin : La chaussure, je crains que ce soit pire, car il n’y a pratiquement pas de multimarques. Il y a bien Luxe Imperium dans le haut de gamme, par exemple, qui est vraiment une exception. Ce qui se passe chez les multimarques un peu répandus, c’est que leur modèle économique change : ils utilisent maintenant leurs noms propres pour brander leurs produits. Ils annoncent des marques européennes, des Kenzo, des Chloé, avec quelques types de modèles. Mais après, l’essentiel repose sur des modèles maisons, comme chez Blog05. En général, ce sont des produits italiens, dont ils ont fait le picking au Micam à Milan. Pour les marques françaises, surtout les petites, c’est donc très compliqué. Ce qui ne veut pas dire qu’il ne faut pas essayer d’être présent.

FNW : Comme s’y prendre ?

CEP : Quand on pense au marché chinois, il faut penser au très long terme. Ce marché est un miroir aux alouettes. Il existe, mais c’est avant tout un potentiel. Il existe avant tout pour les marques de luxe. Et pour certaines marques entrée-de-luxe, mais malheureusement, les Français ne sont pas bons dans ce domaine, où brillent par contre les Américains, avec Tory Burch, Michael Kors ou Coach qui réussissent très bien en Chine. Je ne connais pas vraiment de marques françaises dans ce domaine, sauf peut-être Maje, mais qui est relativement peu présente. Ensuite, on retombe tout de suite dans le milieu et bas de gamme, où nous n’avons aucune valeur ajoutée à apporter quand nous sommes Européens. C’est illusoire. Si on veut vendre dans ce pays, il faut avoir un produit qualitatif qui soit premium, mettre en avant la France et la création parisienne, même de manière outrancière. Et adapter un minimum le produit au marché local.
 
FNW : C’est-à-dire ?

CEP : Un aspect qu’il faut avoir à l’esprit, ce sont les couleurs. Le marché ici a besoin de couleurs, alors qu’en France, on vend du noir, éventuellement du noir, et accessoirement du noir. Et exceptionnellement du marron. Et ensuite, il faut savoir développer des ornements qui soient un peu flashy, car les Chinois aiment se mettre en avant. Il ne faut pas être pessimiste, et pour deux raisons. A terme, il va peut-être y avoir des multimarques qui se créeront. Et en Chine, peut-être plus que dans d’autres pays européens ou américains, il y a aujourd’hui un vrai besoin de différenciation. C’est une donnée mondiale, mais très forte ici.

FNW : Pour quelles raisons ?

CEP : Les gens ont surconsommé les grandes marques. C’était des références. Vuitton, Lancel, Chanel étaient des enjeux de statut social. Aujourd’hui, cette clientèle possède des produits de ces marques. Maintenant, les clients chinois cherchent des produits qu’on ne trouve pas partout. Et nous, Français, nous avons une carte à jouer. Car nous sommes le pays de la création, avec des jeunes talents que nous aidons, notamment au travers d’Au-delà du Cuir. Ce qu’il faut, c’est les faire connaitre. C’est pour moi une priorité : démontrer que l’on peut produire des pièces qui sortent du lot. Les maisons de luxe ne suffisent pas. Et on n’arrivera pas à créer des Coach ou des Tory Burch, c‘est trop tard. En Chine, il y a une multitude de niches pour nos talents.

FNW : Quel regard portez-vous sur la créativité chinoise ?

CEP : Il y a eu une extraordinaire évolution. Quand on visite les malls chinois, les produits que l’on trouve n’ont d’un point de vue stylistique rien à nous envier. Je dirais même que, généralement, les chaussures chinoises sont un peu plus mode qu’en France. Dans l'Hexagone, je ne veux pas être critique, mais on n'est quand même pas sur une approche très mode. Alors que lorsqu’on voit ici des marques locales en "department store", même mal présentées, le look des produits n'est pas si mal que ça. Niveau qualitatif, c’est encore autre chose, et on est assez vite déconnecté de la réalité avec les prix qui sont assez élevés. Mais il faut garder à l’esprit l’exemple Stella Luna, marque chinoise qui a maintenant plusieurs boutiques à Paris. Les chaussures chinoises n’ont pas à rougir. Mais la création, ça reste la France et Paris. Preuve en est que les marques locales utilisent des noms à consonances européennes. Alors que dans l’habillement, une belle marque comme Shanghai Tang n’est pas acceptée par le marché chinois, malgré des produits exceptionnels. Car le Chinois ne pense pas qu’une marque à consonance chinoise puisse faire de la qualité. La marque n’est pas adoubée par la classe aisée chinoise.
 
FNW : Comment souhaiteriez-vous voir se concrétiser la promotion de la créativité française ?

CEP : J’aimerais que la France arrive à créer à l’étranger des Maisons du Savoir-Faire Français. Nous avons un showroom à Shanghai, qui s’appelle Maison S, qui propose aussi des bijoux créés en France. Mais je trouve cela dommage de se limiter à cela. Il faudrait pouvoir montrer au public chinois la globalité des produits français. C’est à mon avis du gâchis. On dépense beaucoup d’argent, et cela ne sert que deux industries. Alors que c’est l’ensemble de l’équipement de la personne qu’il faudrait pouvoir mettre en avant. Il faut rappeler qu’en France, cette activité rapporte plus que l’aéronautique et autre. Il faut promouvoir l’échelon en dessous, à savoir les petites structures. Car c’est là qu’il y aura des créations d’emplois. Et peut-être parmi elles les successeurs de Vuitton, Dior et Chanel, car ces maisons pourraient un jour disparaitre.

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