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Lionel Tixeire
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13 avr. 2017
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Le marché gris, mal nécessaire pour les fabricants de montres de luxe ?

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Reuters
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Lionel Tixeire
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13 avr. 2017

Une Rolex ornée de diamants avec une réduction de prix de 40 % ou encore une Omega Speedmaster Moonphase à moins de 10 000 dollars ? Même si ces objets restent encore hors de portée du commun des mortels, le développement de ce type d'offres illustre la situation embarrassante dans laquelle se trouvent actuellement les marques d'horlogerie de luxe.

Avec la chute des ventes, un nombre croissant de montres échappe au contrôle des réseaux de distribution officiels des grands horlogers, au profit des plateformes de vente en ligne, qui proposent fréquemment d'importantes réductions de prix.

Jaeger-LeCoultre Astronomy, 2015


Les horlogers suisses s'opposent fermement au développement de ce « marché gris », craignant que leur aura de prestige, jalousement cultivée, en soit affectée ; ce qui pourrait rendre de plus en plus difficile la vente de leurs produits à prix plein.

« En ce qui concerne les biens de luxe, quand vous vous attaquez à l'illusion du prestige, au rêve, aux prix, vous supprimez la confiance. Cela signifie une mort lente pour les biens de luxe », a ainsi déclaré Jean-Claude Biver, à la tête de la division montres de LVMH, à Reuters, lors du salon de l'horlogerie Baselworld, allant jusqu'à qualifier ce marché gris de « cancer pour le secteur ».

Pourtant – selon les experts du secteur interrogés par Reuters, le retournement soudain du marché en Chine a forcé les marques à commencer à discrètement travailler avec les commerçants du marché gris, parfois afin de soutenir leurs ventes, mais aussi afin de gagner en influence auprès des revendeurs non officiels.

« Il y a de nombreuses sources d'approvisionnement pour les montres sur le marché gris : des revendeurs agréés qui souhaitent se séparer de certains modèles qui se vendent mal, des distributeurs ou même les marques elles-mêmes », selon un professionnel du secteur qui a souhaité ne pas être identifié.

Ce dernier a ajouté que, dans certains cas, les acteurs du marché gris coopèrent avec les marques, en retirant ainsi certains nouveaux modèles de la vente lorsque cela leur est demandé ou en réduisant certaines promotions lorsque les marques les jugent exagérées.

Si les représentants des plus importants fabricants de montres, comme Swatch et le groupe Richemont, refusent de communiquer leur stratégie en la matière, certains fabricants peuvent en retirer un certain bénéfice.

« Pour chaque montre que nous vendons, le fabricant récupère la plus grande partie des profits et toutes les recherches sur les moteurs de recherche, les publications sur les médias sociaux, les tweets et les pins constituent une formidable publicité, et gratuite », a déclaré Darryl Randall, le fondateur et propriétaire de la plateforme américaine SwissLuxury.com, qui, selon lui, génère jusqu'à 10 millions de dollars par an.

Un autre grand acteur du marché gris indique qu'il retire parfois certains modèles de la vente si les fabricants le lui demandent, ajoutant par ailleurs que ces derniers proposent régulièrement des lots de 15 ou 20 montres à un prix réduit.

« Bien que les marques nous détestent, nous avons à peu près les mêmes objectifs qu'eux – nous voulons aussi vendre les montres et être capables de réaliser un profit », a-t-il ainsi ajouté.

Par ailleurs, si la demande chinoise a explosé après la crise financière de 2008, celle-ci a chuté ces deux dernières années. Les attaques terroristes ont aussi découragé le tourisme en Europe – où de nombreuses montres sont vendues – et la Chine a par ailleurs pris des mesures contre les cadeaux somptuaires faits aux fonctionnaires.

Lorsque le marché est favorable, les fabricants peuvent réaliser des marges de 20 %, tout en laissant une marge confortable aux revendeurs, pouvant atteindre 45 %.

Mais lorsque le marché ralentit, les fabricants n'autorisent pas les revendeurs officiels à baisser leurs prix, ces derniers craignant que de fortes réductions n'affectent l'image de leur marque – une stratégie qui peut parfois pousser les revendeurs officiels à se tourner vers le marché gris.

Sur les deux premiers mois de l'année, les exportations de montres suisses ont ainsi chuté de 8 %, après une baisse de 10 % l'an dernier.

Selon Darryl Randall, les marques ne montrent pas toutes le même acharnement contre le marché gris. Parmi les plus difficiles à trouver, on compte Patek Philippe et Richard Mille, qui contrôlent strictement leur production. Audemars Piguet, une autre marque indépendante, ne distribue pour sa part que certains modèles dans ses propres boutiques.

« A l'inverse, des marques comme Omega et Tag Heuer restent facilement disponibles, à tout moment. »

Les Etats-Unis sont le deuxième marché pour les montres suisses et sont aussi une plateforme importante pour le marché gris, avec notamment des commerçants en ligne comme Jomashop.com, AuthenticWatches.com et PrestigeTime.com.

« Il y a beaucoup de montres du marché gris qui arrivent de l'étranger. Les surplus de production étaient auparavant dirigés vers Hong Kong, maintenant ils vont vers les Etats-Unis », selon Danny Govberg, un partenaire officiel des grandes marques suisses, qui vend aussi des montres d'occasion en ligne.

Ce dernier a aussi confirmé que les marques lui proposent parfois des montres neuves pour les revendre comme si elles étaient d'occasion, même s'il ne s'agit que d'une petite partie du marché.

En dehors des Etats-Unis, l'Allemande Chrono24.com dispose de bureaux commerciaux à Hong Kong et New York, et de nombreuses montres du marché gris sont aussi vendues sur Amazon et eBay.

Contrairement aux contrefaçons, les montres du marché gris sont vendues légalement, même si elles ne bénéficient habituellement pas de la garantie d'usine, car les marques refusent d'assurer le service après-vente pour des montres vendues en dehors du circuit officiel.

Si cela peut décourager certains acheteurs, d'autres peuvent préférer la commodité des plateformes en ligne, qui tentent les clients potentiels avec des offres d'anciens modèles, des solutions de financement, des garanties de prix, voire leur propre garantie et centre de service après-vente.

Darryl Randall achète la plupart de ses montres aux Etats-Unis afin de pouvoir les envoyer rapidement à ses clients, mais les fait parfois venir d'Europe, grâce notamment à la hausse du dollar.

« Nous venons de vendre une magnifique Jaquet Droz eclipse à un homme d'affaires de Chicago et nous avons réussi à faire une bonne affaire, avec une livraison rapide depuis Zurich. Le prix (que nous avons obtenu) était si intéressant que nous avons pu lui proposer une réduction supplémentaire de 2 000 dollars », a précisé Darryl Randall.

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