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Nino Cerruti: "Le consommateur est coupable et victime de la confusion sur la qualité"

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28 sept. 2012

Nino Cerruti


Alors qu’il fête aujourd’hui ses 82 ans, Nino Cerruti garde un regard incisif sur le marché qui l’a vu prospérer. Aujourd’hui aux commandes de Lanificia Fratelli Cerruti, cette figure du monde de la mode était présent sur le salon Première Vision. L’occasion de livrer à FashionMag.com son sentiment sur l’évolution des notions de "mode" et surtout de "luxe". Il revient également sur le rôle croissant des tissus techniques et le poids des grandes enseignes.

FashionMag.com: Quelle lecture faites-vous des évolutions connues par le secteur, ces dernières années ?
Nino Cerruti: J’étais dans le marché de l’habillement jusqu’en 2001. Aujourd’hui, je vis le marché du tissu à travers les réactions des clients. Jusqu’à 2007, le marché était confronté à des problèmes ponctuels. Mais la crise de 2008, c’est surtout l’addition de tous les problèmes d’un monde qui change profondément. Qui change de structure de consommation, de type de demande. Cela devient plus qu’une crise: c’est tout simplement une phase de transition.

FM: Comment en avez-vous perçu l’impact sur le secteur du textile et de l’habillement ?
NC: Les produits de luxe ont eu un marché favorable grâce à la forte attention donnée à ses produits par les pays en développement. Ce marché a moins souffert car l’une des tendances de fond est une consommation plus active sur cette offre. Le marché du textile a un peu profité de cela, mais le marché du formel a beaucoup souffert de l’industrie importante créée en Chine. Car elle répond à une consommation différente. Aujourd’hui, la mode ne passe plus par la qualité mais par l’apparence. La qualité des produits passe au second plan.

FM: La notion de luxe n’est donc plus la même, selon vous ?
NC: Le luxe a effectivement une définition aujourd’hui très différente. Cela désignait par le passé des services, une certaine exclusivité… La promotion était moins glamour car elle devait répondre à un style bien défini. Aujourd’hui, on désigne avant tout par "luxe" quelque chose qui coûte cher. Le terme se justifie désormais à un niveau visuel, et c’est seulement ensuite, peut-être, que vient la qualité des matières.

FM: Certaines marques n’ont donc plus de "luxe" que le nom ?
NC: Si vous prenez par exemple un produit cher chez Hermès, il y a un vrai travail sur la qualité. Mais prenez une société comme Boss, ils s’en fichent royalement. Ils veulent juste dégager une image publicitaire suffisamment forte. Mais les deux ont la même ambition d’être qualifiés de "luxe". Des marques sont devenues très habiles pour défendre cette image, image souvent bien plus qualitative que les produits eux-mêmes. Mais le consommateur finira toujours par se rendre compte de la qualité réelle, et tournera le dos à ces marques. Mais, au départ, le consommateur aura toujours du mal à évaluer la qualité des tissus.

FM: Pensez-vous qu’il vaudrait mieux informer ces acheteurs, via des labels ou étiquettes, par exemple ?
NC: Prenez une étiquette sur laquelle est écrit "ramie". Et bien je suis sûr que 90% des gens qui sont là (il désigne le salon Première Vision, ndlr), qui sont pourtant du métier, ne savant pas ce que c’est. Autre exemple: dans les années 1970, Made in Japan était synonyme de mauvaise qualité. Aujourd’hui c’est l’inverse, et ce sont les produits chinois qui ont cette image. Au final, les étiquettes ajoutent à la confusion générale. Le consommateur est à la fois coupable et victime de la confusion sur la qualité.

FM: De quel œil voyez-vous la montée en puissance des matières techniques ?
NC: Cette montée en puissance peut être une nécessité: si la population mondiale continue de croître, nous n’aurons jamais assez de moutons pour habiller tout le monde. Mais en termes d’habillement, je reste persuadé que les gens continueront de préférer les produits naturels. Le problème est que tout le système actuel fait subir une lourde pression à chaque étape de la chaîne de production. Et il y a aussi tout cet effort fait sur l’écologie. Beaucoup de gens s’investissent pour ce combat, mais au final peu l’appliquent vraiment dans leur quotidien. Les grandes sociétés se sont simplement emparées du thème pour leur propagande.

FM: Ayant assisté à la naissance des grandes enseignes leaders, que pensez-vous de leur impact sur le marché ?
NC: Avant, on allait chez le tailleur, un artisan qui cherchait la fidélité du client par la qualité. Aujourd’hui, les chaînes d’habillement ont un pouvoir terrible, avec des points de vente en quantité énorme, une grosse influence sur les consommateurs. Il demeure des gens qui ont un certain désir de qualité, qui vont vers les niches. Mais la plupart courent derrière une mode "d’apparence". Personne n’aurait pu imaginer que le marché deviendrait cela. Aujourd’hui, dans un patelin perdu au fond du pays, il y a de la mode. Mais racoler les gens, ramener la mode à un phénomène de consommation, fait qu’il n’en reste plus que la notion d’esthétique. C’est devenu le point de départ de tout.

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