Publié le
11 avr. 2016
Temps de lecture
4 minutes
Télécharger
Télécharger l'article
Imprimer
Taille du texte

Olivier Abtan (BCG) : « Il y aura une segmentation entre le luxe traditionnel et le luxe accessible »

Publié le
11 avr. 2016

De plus en plus de maisons songent à bouleverser la cadence de leurs défilés, à l’instar de Gucci qui vient d’annoncer son intention de ne plus organiser qu’un seul défilé mixte par saison contre deux auparavant. FashionMag revient sur ce débat avec Olivier Abtan, partner et managing director du Boston Consulting Group (BCG). Spécialisé dans le secteur du luxe, il est l’auteur de l’étude sur l’évolution des Fashion Weeks réalisée pour la fédération des créateurs américains CFDA.
 

Olivier Abtan


FM : Vous avez réalisé l’étude commanditée par le CFDA sur l’évolution des Fashion Weeks. Quelle a été la genèse de ce projet ?

Olivier Abtan :
Le CFDA s’occupe de développer la Fashion Week de New York. Parallèlement, les Maisons américaines avaient besoin d’un élan et cherchaient à comprendre comment transformer les shows en quelque chose de plus efficace commercialement. Les défilés d’aujourd’hui créent de l’image, mais six mois avant les ventes.

Certaines marques pensent qu’il serait plus intéressant de profiter tout de suite du buzz provoqué par le show en mettant immédiatement en vente leur collection, « le See Now-Buy Now-Wear Now », ou une partie comme l’ont fait Burberry, Michael Kors ou Tom Ford. L’idée, c’est qu’il y ait la queue devant le magasin le lendemain du défilé ! En fait, le phénomène a commencé bien avant l’étude. Le CFDA a pris le train en marche pour canaliser le mouvement.

FM : Quels sont les principaux enseignements de cette étude ?

OA :
L’appréciation de la part de la vingtaine de Maisons que nous avons interrogées est très nuancée. Certaines marques sont peu sensibles à l’image sur le long terme et plus attentives aux résultats de vente à court terme. Les griffes de luxe traditionnelles veulent quant à elles montrer la mode de demain et faire rêver le client. Elles ne sont pas dans l'immédiateté, ni dans l’urgence. Elles ont le luxe de pouvoir attendre.

Enfin, il y a un modèle intermédiaire consistant à mettre en vente immédiatement après le show seulement une petite partie de la collection. Cela me paraît une piste intéressante à explorer pour un grand nombre, afin de profiter du buzz post-show et de donner une image de modernité, avec les outils digitaux.

FM : Quel impact pourrait avoir un tel changement ?

OA :
Réunir en une seule Fashion Week ces différentes exigences au même moment en l’espace de deux semaines pose différents problèmes. Tout d’abord, il y a un risque de ringardisation des adeptes du « See Now-Buy Now-Wear Now » par les Maisons traditionnelles, qui montreront la mode de demain en s’inscrivant comme les faiseurs de tendances.

Par ailleurs, certaines contraintes logistiques sont immuables, afin de garantir la disponibilité des produits en magasin. Une présentation intermédiaire en amont du défilé sera donc nécessaire, avec le risque inévitable de fuites d’images permettant toujours aux enseignes fast fashion de s'inspirer de ces marques.

FM : Va-t-on supprimer les défilés ?

OA :
Non ! Si l'on veut jouer sur ce marché du luxe, il faut en respecter les codes.

FM : Que va-t-il se passer concrètement lors de la saison prochaine ?

OA :
Personne ne sait avec certitude. Probablement différentes solutions vont être testées lors des prochaines Fashion Weeks. En ce qui concerne New York, le CFDA propose d’accompagner les Maisons qui le souhaiteraient, en les aidant à monter des plans d’actions pour faire avancer les choses.

FM : Comment voyez-vous l'avenir du marché du luxe?

OA :
La dernière décennie avec une croissance à double chiffre est derrière nous. Cette course effrénée était portée par les consommateurs chinois. Maintenant, nous sommes dans une nouvelle ère. L’expansion vers les pays émergents comme l’Empire du Milieu est terminée. Certaines villes chinoises sont saturées et les Chinois achètent apparemment moins en voyageant. Pour l’année prochaine et celles à venir, il faut s’attendre à une baisse de la consommation chinoise. Le marché du luxe va croître d’environ 4 % en moyenne par an.

FM : Que peut faire l’industrie pour redresser la barre ?

OA :
La croissance viendra du e-commerce et de la rentabilité au m² dans les boutiques existantes, notamment dans les marchés matures. L’industrie devra ainsi travailler sur les clientèles locales.

FM : Que faire pour récupérer ces clientèles locales ?

OA :
Il faut retravailler les basiques de la distribution, associés aux codes du luxe. La forte consommation chinoise a masqué pas mal d’imperfections ou lacunes pour ce qui est de l’expérience d’achat en boutique. Surtout en termes de cérémonies de ventes et d’assortiments adaptés aux clientèles de chaque magasin.

FM : En conclusion, comment voyez-vous l’avenir des Fashion Weeks ?

OA :
Notre étude a mis en lumière les différentes exigences des acteurs du marché. Il y aura une évolution, mais elle sera très lente. Il n’y aura pas de Big Bang ! Dans le futur se mettront sans doute en place des comportements différents. Il y aura une segmentation entre le luxe traditionnel et le luxe accessible. Les griffes traditionnelles conserveront le modèle actuel, certaines marques renonceront aux shows, préférant se concentrer sur des événements clients. D’autres introduiront au sein de leurs défilés des capsules de quelques pièces immédiatement disponibles à la vente.

Tous droits de reproduction et de représentation réservés.
© 2024 FashionNetwork.com