1 048
Fashion Jobs
Publié le
18 mai 2018
Temps de lecture
5 minutes
Télécharger
Télécharger l'article
Imprimer
Taille du texte

Quand les marques de mode revendiquent l’esprit de mai 68

Publié le
18 mai 2018

Alors que s’est posée la question de la commémoration des événements de mai 68 par l’Etat, les griffes de mode n’ont pas hésité et se sont engouffrées dans la brèche. Reprenant les codes de la contestation et du vent de liberté qui a secoué la France il y a 50 ans, Gucci tout autant qu’Etam, Sonia Rykiel ou encore Camaïeu ont mis sur pied un produit, une campagne ou un événement dédié.


Campagne pre-fall 2018, orchestrée par Glen Luchford. - Gucci


De forme bien rectangulaire et fabriqué en cuir de taurillon, « Le pavé parisien » de Sonia Rykiel vient de faire son entrée dans la collection de sacs de la maison française. « Envisagé pour prendre d’assaut les rues de Paris », il ravive selon la marque « l’esprit frondeur qui animait Sonia Rykiel au printemps de sa carrière ».

La marque enracinée à Saint-Germain-des-Prés, non loin de la Sorbonne, qui a à l'époque contribué à la libération du corps de la femme manie adroitement avec ce produit clin d’oeil « une certaine forme d’ironie », selon Frédéric Godart, sociologue de la mode et enseignant à l’INSEAD. « Il ne s’agit pas du tout d’ignorance, car la maison a une opinion et est née cette année-là, mais c’est assez amusant de voir qu’un pavé de pierre, lourd et synonyme de rébellion violente, peut devenir un objet luxueux et qui ne fait pas mal ! »  


Ce « mini-tank du macadam », comme le qualifie la marque, est affiché au prix de 790 euros. - Sonia Rykiel


Esthétisation du politique

Dans un esprit de mimétisme et carrément intitulée « Gucci dans les rues », la campagne de la collection pre-fall 2018 de la maison italienne plonge dans ce mois de mai 68 en suivant façon reportage un groupe d’étudiants en révolte : assemblée générale, accrochage de bannière, manifestation… Tout y est, sauf que les jeunes gens sont griffés Gucci de la tête aux pieds. Contradictoire ? La marque du groupe Kering a été raillée sur les réseaux sociaux par des internautes pointant l’appropriation d’une contestation qui fut le berceau de l’anticapitalisme, de la part d’un groupe de luxe affichant des résultats étincelants.

Cette campagne incarne plutôt, pour Frédéric Godart, « l’expression d’une totale liberté créative, qui est pour une marque de s’emparer de n’importe quel sujet, en ne conservant que les codes qui l'intéressent, c’est-à-dire surtout ici la dimension visuelle ». Gucci offre « une forme de simulacre, pas au sens négatif du terme : il s’agit d’une vision détachée du politique, qui n’a gardé qu’une image esthétique, peut-être idéalisée ». Un parti pris qui exalte l’étudiant un brin hippie et rêveur, alors que le mouvement a également mobilisé ouvriers, employés, intellectuels et paysans contre la politique de l’Etat.


Le vote d'une motion, plus vraie que nature dans la campagne de la maison italienne. - Gucci


Le prêt-à-porter, né de 1968 ?

La marque Kickers quant à elle n’était pas née durant les événements, mais se fend tout de même d’un produit inspiré de cette période : son bottillon emblématique a été cette saison customisé par une étudiante de l’école d’arts appliqués Créapôle Paris. La marque se positionne comme une héritière. « Enfant de mai 68, l’histoire de Kickers commence en 1970 avec la volonté folle de chausser cette jeune génération bien décidée à vivre ses rêves », indique le label du groupe Royer

L’avènement du prêt-à-porter en France est de fait lié à l’évolution de la société au 20e siècle, la décennie des sixties ayant précipité l’émergence des stylistes face aux grands couturiers. « Le prêt-à-porter a connu ses prémisses en 1945, mais s‘impose véritablement dans les années 1960 vis-à-vis de la Haute Couture. Puis, quelques années plus tard, en 1973, le prêt-à-porter est reconnu institutionnellement », souligne le sociologue. C’est la naissance de la Chambre syndicale du prêt-à-porter des couturiers et des créateurs de mode.

« Ce n’est pas étonnant que des griffes souhaitent célébrer cette époque, car mai 68 a contribué à bouleverser le marché de l’habillement ». Le jean et la mini-jupe se sont généralisés, de même que les matières synthétiques, épousant le corps.


L'enseigne rappelle le lien entre mai 68 et montée en puissance du féminisme. - Etam


Cherchant à relier cet anniversaire avec l’actualité, l’enseigne Etam propose quant à elle à ses clientes de venir écrire spontanément sur ses vitrines transformées en free walls, du 17 au 20 mai. Mai 68 est le « coup d’envoi d’un mouvement libertaire et d’une prise de conscience qui ont conduit à l’éclosion su mouvement féministe dans les années 1970 », retrace l’enseigne de dessous dont le credo est Frenchliberté. « D’autant que les combats menées par les femmes à l’époque sont plus que jamais d’actualité ». Si l‘initiative peut faire sourire, c’est justement en créant une résonance avec les idées et revendications d’aujourd’hui que la marque cherche à se connecter aux aspirations de ses clientes et à celles de nouvelles recrues potentielles.


« Réveillez la modeuse révolutionnaire qui est en vous », clame la chaîne Camaïeu avec sa ligne de t-shirts à 9,99 euros. - Camaïeu


Toutes ces initiatives sont enfin l’occasion idéale de pouvoir s’adjuger un « vocabulaire assez fort », comme le qualifie Frédéric Godart : Rykiel y va de son « esprit frondeur », quand Camaïeu invoque le mantra « Rêve général ». Mai 68 s’impose comme une inépuisable source de slogans et de punchlines pour réveiller une communication parfois (trop) consensuelle au rayon mode.

Tous droits de reproduction et de représentation réservés.
© 2024 FashionNetwork.com