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19 oct. 2017
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Frédéric Biousse, Emmanuel Pradère (Experienced Capital) : "Le marché du luxe abordable, c’est l’Eldorado"

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19 oct. 2017

Le Slip Français, Balibaris, Figaret, Jimmy Fairly, Soeur, Maison Standards et Sessùn, la dernière en date l'été dernier : sept marques ont déjà intégré le portefeuille de participations d'Experienced Capital depuis sa création en février 2016. Dix-huit mois pendant lesquels la société d'investissement a examiné 320 dossiers sur le segment qui l'intéresse, le luxe abordable. Un profil atypique de spécialiste dans le paysage des fonds et donc une analyse fine de ce segment de marché, ultra dominé par le groupe SMCP... chez qui se sont rencontrés les cofondateurs. Membres du trio avec Elie Kouby, Frédéric Biousse et Emmanuel Pradère ont accordé un entretien à FashionNetwork.com. Une rencontre que nous rapportons en deux temps. Premier volet ce jeudi dans lequel les dirigeants évoquent la genèse de leur projet, leur place sur le marché et les évolutions actuelles de celui-ci.

Frédéric Biousse et Emmanuel Pradère - Experienced Capital


FashionNetwork.com : Experienced Capital est très jeune, mais l’histoire de sa création est bien antérieure à février 2016, comment la résumeriez-vous ?

Frédéric Biousse : C’est une histoire d’amitié ! D’abord entre Elie Kouby et moi, chez Comptoir des Cotonniers, à partir de 2003, où nous avons d’emblée formé un binôme très complémentaire. A cette époque, Comptoir, Princesse tam.tam, Zadig, ce sont réellement eux qui ont inventé le luxe abordable dans le monde. La recette, c’est eux. Nous, à ce moment-là, nous avions identifié une pépite qui était Sandro. Entre-temps, Comptoir était passée dans le groupe japonais Fast Retailing, qui nous a finalement autorisés à partir pour faire Sandro. C’était en 2007. Puis Maje, puis Claudie Pierlot pour aboutir au groupe SMCP. A ce moment-là, nous avons fait deux choses : nous avons vendu 51 % à L Capital et Florac, et nous avons recruté Emmanuel Pradère. Il a tout remis au carré et préparé l’internationalisation. C’est vrai qu’à partir de là, on a formé ce trinôme qui fonctionnait super bien.

FNW : Qu’est-ce qui vous a fait quitter SMCP ?

FB : Les choses sont allées très très vite pour le groupe. Vous connaissez les valeurs : L Capital est rentré sur 200 millions d’euros en 2010, en 2013 on a vendu à KKR sur 650 millions d'euros. A ce moment-là, je leur ai dit que je partirais sous deux ans. C’était devenu trop gros. Quand c’est si gros, on ne voit plus le business. En 2015, SMCP a été vendu aux Chinois de Shandong Ruyi pour 1,3 milliard. C'est là que je suis parti. Dans la foulée, Elie Kouby et Emmanuel Pradère en ont fait autant, parce que c’était une nouvelle gouvernance, une nouvelle façon de travailler. Avec Emmanuel, nous nous étions dit que nous ferions quelque chose ensemble après. Quand Elie a vu que nous discutions de cela, il nous a dit « les copains, ne le faites pas sans moi » !
 
FNW : C’est comme ça qu’est né Experienced Capital ?

FB : En fait, nous avons d'abord été contactés par les plus grands fonds de la place, mais aussi par LVMH. Tous souhaitaient monter une poche d’investissement dans leurs structures, sur le luxe abordable, que nous avons conceptualisé tous les trois à l’époque, à mi-chemin entre le luxe et Zara. En nous appuyant sur les piliers de l'un et de l'autre à la fois.
 
FNW : Pourquoi avoir monté votre propre structure et ne pas les avoir suivis ?

FB : Nous avons décidé de le faire seuls parce que nous sommes des entrepreneurs. Chez SMCP, nous nous sommes affirmés en tant que tels. Et nous avons donné  le goût de l’entrepreneuriat à des gens qui ne l’avaient pas à la base. Emmanuel, qui venait d’un grand groupe, aurait, je pense, du mal à retravailler dans une telle structure aujourd'hui. Parce que nous sommes entrepreneurs, nous ne pouvions pas travailler pour Bernard Arnault, Permira ou Eurazeo… La décision a été difficile à prendre, mais aujourd’hui nous nous disons vraiment que nous avons pris la bonne. Nous voulions également rester petits, en termes de taille, quitte à relancer un deuxième véhicule après. Et donc nous avons levé 78 millions d’euros, ce qui est beaucoup, mais pas énorme.

Emmanuel Pradère : C’est quand même beaucoup pour un premier fonds… C’est quand même pour nous la première fois qu’on dirige une société d’investissement, rappelons-le. Donc c’est déjà beaucoup !
 
FNW : C’est quoi le luxe abordable, justement, comment le définissez-vous aujourd’hui avec le recul qui est le vôtre sur le phénomène ?


FB : Il s’est développé un luxe abordable beaucoup plus large maintenant, qui n’est plus une question de produit, mais plus une question de façon d’être. Vous êtes ce que vous consommez. Nos clientes qui allaient chez Sandro, vont aussi maintenant chez Aesop, Jimmy Fairly, Apple, Parrot, Devialet, Voyageurs du Monde, ont des crèches privées pour les enfants, des écoles Montessori… Et surtout, tout le nouveau réseau food, les bistrots comme Le Richer, les commandes sur Frichti, la Maison Plisson…

C’est donc une façon d’être, une tribu mondiale qui se développe énormément en Chine, grâce aux lois anti-corruption, qui fait se tourner les clients du luxe vers le luxe abordable. Et dans le même temps, il y a l’émergence d’une nouvelle classe moyenne. Tout ça fait que le marché du luxe abordable, c’est l’Eldorado. Nous, Experienced Capital, nous intervenons là-dessus uniquement. Et on intervient d’autant plus facilement que c’est nous qui l’avons théorisé.

Ce que nous apportons, c’est notre expérience. Le retail c’est un métier d’expérience, on a pris des bonnes et des mauvaises décisions, comment entrer en Chine, aux Etats-Unis, où ouvrir, etc. Grâce à ça, nous permettons à des entrepreneurs d’aller beaucoup plus vite en prenant beaucoup moins de risques. Lever de l’argent, c’est facile finalement. L’enjeu pour une marque dans ce secteur, ce n’est pas l’argent, c’est l’argent qui a de l’expérience. D’où le nom de la société.

Campagne automne-hiver 2017 - Sessùn

 
FNW : Le luxe abordable et ses codes se diffusent très largement désormais. Ne craignez-vous pas une uniformisation et du coup un effet de lassitude ?


EP : Déjà, nous nous veillons à ce qu’il n’y ait pas de cannibalisation entre nos marques. La palette de propositions est assez diverse : la lunette de Jimmy Fairly, la chemise de Figaret, les basiques Maison Standards, l’homme cool de Balibaris... Chez la femme, Sœur et Sessun ont des positionnements prix un peu différents par exemple. Nous, nous veillons à ce qu’elles se complètent, nous organisons même sur certains sujets des réunions transverses entre marques, pour créer de l’échange. C’est fabuleux pour des marques de cette taille de ne pas être seul dans son coin.

FB : Pour ce qui est de la concurrence, je n’ai pas peur du luxe. Le luxe est de plus en plus cher et cela renforce encore plus le luxe abordable. Je ne suis pas inquiet, je pense que c’est une tendance de fond. Donc c’est un véritable aspirateur actuellement. En revanche, cela fait qu'il y a énormément de propositions aujourd’hui sur notre créneau, mais la difficulté c’est de passer de tout petit à quelque chose de solide. Il va y avoir un ménage très fort qui va se faire. Beaucoup de petites marques, de petits concept-stores... C’est une chose d’ouvrir une boutique, c’est autre chose d’en ouvrir cinquante. Ceux qui réussiront à se développer sont ceux qui grandiront très vite, qui seront très incarnés et qui feront des choix tournés vers le business. La sélection naturelle va se faire.
 
FNW : Pour finir, difficile de ne pas évoquer avec vous l’actualité de la semaine, l’introduction en Bourse de SMCP. Quel est votre regard ?

FB : En fait, c’est bête, mais nous sommes super fiers de l’entrée en Bourse. Les gens ne réalisent pas d’où nous venons, où étaient les marques en 2007. Sandro était alors en redressement, j’ai vendu mon appartement pour investir à ce moment-là… Nous avons eu des moments de doute énormes. Quand je vois tout ce qui a été fait depuis, je ne garde que les belles choses. Il y a toujours une fierté quand nous passons devant un magasin du groupe que nous avons ouvert nous-mêmes. A notre échelle, c’est dingue de se dire que nous avons été artisan d’une réussite qui va être valorisée plus de 2 milliards…
 
EP : Par ailleurs, cela valide notre modèle, notre travail, qui consiste à dire que nous amenons les marques à un certain stade de développement, mais qu’elles seront également pérennes ensuite et qu’elles continueront à grandir sur ces bases-là.
 
FB : Ce qui est amusant aujourd’hui, c’est que j’ai deux appels par jour de banques ou fonds d’investissement qui veulent mon avis sur SMCP, investir ou pas... D’ores et déjà, nous nous sommes mis d’accord avec quelques institutions pour faire un point tous les mois sur l’évolution du groupe et du cours de Bourse, parce que nous sommes des experts, nous en connaissons les forces extraordinaires, mais aussi les faiblesses et les risques. C'est un groupe qui a encore beaucoup d'avenir, mais la condition du succès de SMCP, c’est la capacité à garder une culture de respect et d’exemplarité.

Deuxième volet de cet entretien dans votre newsletter Premium de vendredi.

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