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Boris Saragaglia (Spartoo) : "L'Etat a refusé de soutenir André"

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2 avr. 2020

Déjà bousculée depuis plusieurs années, l'enseigne de chaussures André est l'une des premières victimes économiques de la crise du coronavirus en France, et ne sera sans doute pas la seule dans le secteur de la distribution, le groupe Orchestra ayant également averti hier qu'il s'orientait vers un placement en redressement judiciaire. Le propriétaire d'André depuis 2018 - et patron de Spartoo -, Boris Saragaglia, détaille les raisons ayant conduit à la mise en œuvre de cette procédure auprès du tribunal de commerce de Grenoble.


Boris Saragaglia a cofondé Spartoo en 2006. - Audoin Desforges


"Nous avons déclaré la cessation des paiements le 23 mars, et le placement en redressement judiciaire a été acté le 31 mars", introduit sans détour le dirigeant. Une procédure rendue possible car "les spécialistes de la restructuration et les administrateurs judiciaires ont pesé pour une réouverture des tribunaux de commerce, à distance, alors que l'Etat avait demandé leur fermeture il y a dix jours".

Malgré les difficultés déjà éprouvées par l'enseigne auparavant détenue par Vivarte, "la reprise d'André il y a 18 mois est un projet industriel auquel on croyait beaucoup et auquel on croit encore, c'est-à-dire s'appuyer à parts égales sur le web et le commerce physique, et avec le même équilibre entre marques internationales et marques propres."

"On savait que ce projet allait être difficile mais on ne pouvait absolument pas prévoir de subir des crises sociales et sanitaires. Pendant les actions des Gilets jaunes, notre trafic en magasin a chuté de 20 à 25 %, puis au moment de la grève contre la réforme des retraites, nous avons enregistré une baisse de 15 à 20 % de la fréquentation."

Alors qu'en 2019, une perte de 10 millions d'euros a été enregistrée pour un chiffre d'affaires d'environ 100 millions d'euros, "au second semestre, André avait signé une petite croissance, et malgré la grève de janvier, le début d'année 2020 s'annonçait positif".


Intérieur d'une boutique André - DR


Cependant, la fermeture totale du réseau à partir de la mi-mars en raison de la pandémie de Covid-19 abat un coup de massue sur l'entreprise. "A l'heure actuelle, nous perdons 250 000 euros par jour, soit 4 millions d'euros depuis quinze jours ! Clairement, la crise du coronavirus a précipité la défaillance d'André, livre Boris Saragaglia. Comme nous avons une filiale en Chine avec Spartoo, nous avons perçu que les difficultés approchaient dès février. L'entreprise a alors très vite sollicité une procédure de conciliation pour André afin de tenter de se donner un peu d'air."

Avant que le redressement judiciaire ne soit acté, Boris Saragaglia a tenté la semaine dernière un sauvetage auprès de Bpifrance pour bénéficier d'un prêt de 12 millions d'euros. Or, "l'Etat a refusé de soutenir André. J'espère qu'à un moment donné il va jouer son rôle, car il s'agit quand même d'une marque qui a 120 ans d'existence, martèle-t-il. En temps de crise, les financiers vont faire des choix et c'est dommage".

10 millions d'euros de factures en attente



"Je vais me battre pour un plan B et faire le maximum pour éviter la liquidation. L'hypothèse pour cela c'est une réduction drastique du parc, pour le redévelopper ensuite. Suite au rachat, nous n'avions effectué aucun plan social, mais avec la crise du coronavirus, des mesures fortes sont nécessaires", avance-t-il.

Le stock de produits pèse aussi sur les bras du chausseur. "Tout ce que nous avons réceptionné en février, et qui ne peut pas être vendu à l'heure actuelle, nous devons le payer à nos fournisseurs en mars et avril". 10 millions d'euros de factures sont actuellement en attente."On a payé les salaries, nos impôts et les loyers, mais là, c'est intenable".


L'un des visuels de communication de la précédente saison estivale, centré sur la famille avec le retour de l'offre enfant. - André


Pour tenter de redresser l'enseigne de chaussures aux 150 points de vente et aux 600 salariés, Boris Saragaglia affirme qu'il a injecté 13 millions d'euros depuis 2018. "Nous avons massivement investi, ajouté une collection enfant et sport, baissé les prix de 10 %, commencé à rénover des magasins et réintégré l'activité web d'André", énumère-t-il.

Le dirigeant pointe d'autre part la relation selon lui inéquitable avec les bailleurs. "L'augmentation des indices de loyers n'est pas normale dans un monde où la consommation baisse. Avoir un loyer qui augmente de 2 à 3 % par an, c'est une distorsion trop forte : il faut mettre un plafond. Aujourd'hui, le loyer à payer pèse pour 22 % des ventes d'un magasin, le maximum acceptable serait de ne pas dépasser 15 %. Nous avons besoin du soutien des politiques pour changer les choses."

De son côté, l'e-commerçant Spartoo auquel est adossé André a connu en 2019 "sa plus belle année en treize ans avec 9 millions d'euros de cash flow opérationnel dégagé. Et heureusement, c'est ce qui nous a permis de financer André. Si en sortie de crise, nous sommes en mesure de mettre en œuvre un plan B, j'espère que l'Etat nous soutiendra enfin", lance pour conclure le patron.

Le calendrier de la procédure n'est pas encore défini, mais sans doute que le délai pour un possible rebond sera court, vu la situation de fermeture totale des points de vente et les pertes astronomiques qui s'accumulent de jour en jour.

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