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27 nov. 2018
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Cheap Monday : chronique d’une fin annoncée ?

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27 nov. 2018

L’histoire n’aura duré que dix ans. Dix ans après le rachat du groupe florissant Fabric Scandinavien AB (propriétaire de Cheap Monday, Monki et Weekday), H&M décide de jeter l’éponge en mettant un point final à l'histoire Cheap Monday. Une conclusion actée ce matin par voie de communiqué de  la part du géant Hennes & Mauritz, qui souligne les mutations du secteur et le modèle de vente en gros de la marque, très malmené ces dernières années. Son magasin de Londres ainsi que son site e-commerce seront fermés dès ce 31 décembre. Le reste de l'activité prendra fin en juin prochain.


La marque Cheap Monday s'est fait connaître avec ses jeans slim et skinny - Cheap Monday


Pour certains, cette annonce apparaît étonnante tant la marque de jeans était au sommet de sa gloire en 2008. Cette année-là, H&M était entré au capital du groupe Fabric Scandinavien AB (propriétaire de Cheap Monday, Monki et Weekday) à hauteur de 60 % en rachetant les parts aux aux fondateurs, Adam Friberg, Lars Karlsoon, Örjan Andersoon et Linda Friberg. Le géant suédois avait déboursé 60,4 millions d’euros pour cette transaction. Deux ans plus tard, en 2010, le groupe avait achevé le rachat Fabric Scandinavien AB en prenant les 40 % des parts restantes.

A l’époque, Cheap Monday était partout ou presque : dans les magasins qui comptent et dans la presse internationale. Ses fondateurs ont eu le nez fin. Ils démarrent avec Weekend, boutique de mode vintage, en 2000 à Stockholm. Le succès est au rendez-vous. Deux ans plus tard, ils ouvrent Weekday, un multimarque diffusant les jeunes créateurs et marques hype du moment. Là encore, l'essai prend vite. L'affluence ne fait que croître. Pourtant, Örjan Andersson, le designer du trio, est frustré. Il désire toucher davantage de clients avec un produit abordable. Il prend alors le contrepied de la tendance du premium denim en créant avec ses deux associés Cheap Monday en 2004. Les jeans slim et skinny vendus autour de 50 euros vont vite séduire un grand nombre de clients et clientes dans de nombreux marchés.

Selon de nombreux responsables de marques, il y a eu un avant et un après Cheap Monday dans l’histoire du denim. Si la silhouette slim avait commencé à percer avec le succès et la médiatisation de Dior Homme revisité par Hedi Slimane, Cheap Monday a démocratisé le slim, poussant les autres marques à se mettre aussi sur ce créneau. En France, Nordine Yousfi et Stéphane Juge de Linksury ont été les agents de la marque de jeans dès ses premiers pas avant de devenir distributeurs. « Un ami suédois nous avait montré son jeans en nous disant qu’il était vendu à 50 euros et que ça cartonnait à Stockholm. 50 euros ? On n’y croyait pas, mais on a pris 500 jeans pour Royal Cheese (leur boutique à Paris, ndlr) et on a fait en sorte que la marque soit diffusée par quelques magasins que nous connaissions bien dont Colette, Noir Kennedy et Shine. Tout le monde a vendu les jeans en un rien de temps », explique Nordine Yousfi, avant d’ajouter : « Nous avons voulu tester le terrain en rencontrant les fondateurs à Stockholm et nous avons vite vu qu’il y avait un potentiel énorme avec cette marque. »


H&M avait annoncé ancrer Cheap Monday dans une offre écoreponsable en 2017 - Cheap Monday


Au plus fort de la vague, Cheap Monday était distribuée dans plus 1 000 magasins dans le monde. En France, l’un de ses principaux marchés, elle était vendue dans 450 boutiques. Le chiffre d’affaires a atteint jusqu’à 8 millions d’euros sur le seul marché français. Nordine Yousfi : « Nous vendions 70 % de jeans pour 30 % d’autres pièces. Or, il faut en vendre des jeans à 20 euros et des tee-shirts à 7 ou 8 euros en prix de gros pour faire 8 millions d’euros. Chez Royal Cheese, qui reste un petit magasin, nous vendions jusqu’à 1 200 jeans par mois pendant environ deux ans. Les revendeurs achetaient jusqu’à 800 pièces à la couleur, par 50 à la taille. C’est simple : nous vendions des cartons de jeans à la pelle… C’était assez dingue, ça ressemblait à La Vérité si je mens !... »

Aujourd’hui, Cheap Monday n’est plus diffusée que dans une trentaine de magasins en France. En février 2017, H&M avait annoncé la fermeture du magasin parisien Cheap Monday dans le Marais, qui a été remplacé par Weekday (qui vendait toujours la marque). Malgré les annonces successives, notamment sur des initiatives durables, le groupe H&M semble ne pas avoir su ou voulu faire évoluer la griffe de jeans avec son temps en la sortant du seul denim stretch.

Les fondateurs de Linksury expliquent ne pas avoir été surpris par la fin annoncée de Cheap Monday. « Depuis Weekend jusqu’à Cheap Monday, les créateurs de groupe Fabric Scandinavien AB ont connu le succès en étant toujours très créatifs, surprenant régulièrement les clients et même les revendeurs. Le tout en étant solide sur leur business. Pour nous, vu le buzz que leurs magasins et leurs marques, surtout Cheap Monday, avaient provoqué à Stockholm et dans les pays nordiques, ça a fait peur et ça a fait de l’ombre à H&M, qui a préféré les racheter. Mais la fast fashion n’a rien à voir avec la gestion d’une marque de mode. Dommage que ça se termine comme ça. »

En janvier dernier, le géant suédois avait révélé des bénéfices en chute de 13 % pour l’exercice 2017, alors que ses ventes ne progressaient que de 4 %. La diversification s’imposait comme une solution pour relancer sa croissance. Le groupe a lancé en 2018 la plateforme Web Afound, un e-shop dédié aux prix barrés et regroupant de nombreuses marques externes au groupe, ainsi que ses propres labels. Elle reste, pour l’instant encore, seulement disponible en Suède, soutenue par quelques magasins physiques installés à Stockholm. Afound n’est pas le seul nouveau concept que le groupe a mis en place en 2018. Après Arket en 2017, il a dévoilé Nyden, sa nouvelle marque au fort ancrage digital. Sa huitième griffe cible avant tous les millennials, avec l’objectif de créer une tribu en ligne et d’accrocher les influenceurs avec une offre plutôt haut de gamme. Mais là aussi, la stratégie apparaît incertaine. Le fondateur de Nyden est parti en juillet, trois mois après le lancement. En octobre, on a également appris que le jeune label allait être intégré au site principal du groupe.

Après plusieurs années d'accélération et de réussites, le groupe H&M est actuellement tancé pour un « retard » pris dans sa transformation digitale. Avec ces premiers revers, l'heure semble être aux ajustements. Reste à voir si Cheap Monday représente une légère variable ou le premier jalon d'une profonde réorganisation.

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