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13 déc. 2018
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Claudio Antonioli (NGG) : "Aujourd’hui, dire street c’est comme utiliser le mot classique"

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13 déc. 2018

En deux ans, New Guards Group (NGG) est devenu un acteur important dans le panorama de la mode, détenant quelques-unes des marques streetwear les plus cool du moment, de Off-White à Palm Angels en passant par Heron Preston, Unravel Project, Marcelo Burlon County of Milan, Alanui et A_Plan_Application. Créée en 2016 par Claudio Antonioli, Davide de Giglio et Marcelo Burlon, cette holding très discrète affiche plus de 300 millions d’euros de chiffre d’affaires et suscite un intérêt grandissant… FashionNetwork.com a rencontré l’un de ses trois fondateurs, Claudio Antonioli. Dans cet entretien, le patron de la célèbre enseigne milanaise Antonioli nous dévoile entre autres le fonctionnement, la philosophie et la clé du succès de NGG, mais aussi les nouveaux projets du groupe. A commencer par Kirin Peggy Gou, le label que le groupe s’apprête à lancer sur le marché.


Claudio Antonioli - DR


FashionNetwork.com : Comment est né New Guards Group?

Claudio Antonioli : Nous avons commencé il y a quatre ans avec mon partenaire Davide de Giglio et le DJ trendsetter et designer Marcelo Burlon, avec qui nous avons créé une société pour produire et développer sa marque de prêt-à-porter. C'était notre premier label. Par la suite, nous avons pris des participations majoritaires dans d’autres marques telles Unravel Project et Alanui, qui existaient déjà comme Marcelo Burlon. Dans d'autres cas, nous avons lancé directement de nouvelles marques avec des designers, mais toutes ces sociétés étaient séparées entre elles. Il y a deux ans, il a été nécessaire de faire confluer ces différentes réalités au sein d'une structure unique. Nous avons ainsi créé en 2016 New Guards Group, dont Davide de Giglio et moi-même avons chacun 46,5 % des parts, tandis que Marcelo Burlon détient 7 %.

FNW : Comment sont gérées les marques ?

CA : La holding New Guards Group contrôle nos participations dans chaque société. Nous avons la majorité dans toutes les sociétés, mais à chaque fois avec des formules différentes. Dans certains cas, le groupe est propriétaire de la marque, dans d’autres, il détient la licence. La recette, c’est d’avoir créé pour chaque marque une société opérationnelle dans laquelle le designer est également actionnaire. Nos licences vont de 15 à 25 ans et portent sur la distribution et la production, principalement réalisée en Italie et au Portugal. Le siège de NGG à Milan accueille les bureaux de style, tous séparés les uns des autres, ainsi que le commercial, le produit et le marketing. Dans cette structure, chaque créateur a son propre bureau de style sur lequel il s'appuie sans être forcément toujours présent sur place.

FNW : Avez-vous créé des synergies ?

CA : Il y a des synergies qui se sont créées parfois dans la production et surtout dans la distribution. Par exemple, nous avons récemment ouvert plusieurs magasins à Hong Kong pour Off-White, Palm Angels et Heron Preston. Dans de nombreux cas, nous ouvrons des magasins avec des partenaires.

FNW : Quel est le poids de NGG aujourd'hui ?

CA : Pour 2018, nous prévoyons un chiffre d'affaires de 315 millions d'euros et un résultat d’exploitation (EBITDA) de 62 millions. Notre particularité, c’est d’avoir toujours réussi à nous autofinancer. Nous ne sommes pas endettés et avons une trésorerie de 70 millions d’euros. La société a toujours dégagé des bénéfices, se finançant via les ventes de marques.

FNW : Vous avez été contactés par des investisseurs ?

CA : Il est clair qu’avec ces chiffres, nous avons déjà été approchés par une série de fonds d’investissement et de sociétés. Mais il n'y a aucun accord.

FNW : Envisagez-vous de céder une part du capital ?

CA : On pourrait l’envisager. Nous sommes en train d’évaluer l'intérêt de le faire ou non.

FNW : Quelle est la clé de votre succès ?

CA : Nous connaissons très bien le secteur. Davide de Giglio s’est toujours occupé de production. Quant à moi, je suis tombé dans le milieu des boutiques très jeune, à 26 ans. Antonioli est essentiel surtout pour la recherche. Avec quatre acheteurs, nous parcourons le monde en participant à toutes les Fashion Weeks, y compris les moins connues, en quête de nouveaux talents. C'est de là qu’est né notre désir d'accompagner ces jeunes marques. Quand nous avons commencé, presque par jeu, nous n’imaginions certainement pas atteindre une telle dimension !

FNW : Avez-vous un nouveau projet en vue ?

CA : Nous allons bientôt lancer Kirin Peggy Gou, qui sera présentée en février à Paris. Nous créons cette marque avec la jeune compositrice de house music Peggy Gou, qui est également DJ et productrice. Elle a 28 ans, voyage dans le monde entier et est invitée sur toutes les scènes musicales. Elle nous envoie ses idées, et son bureau de style au sein de notre structure développe la collection. Nous nous sommes rencontrés via des amis en commun et elle m’a beaucoup plu. En plus de la mode, je suis un passionné de musique électronique, j'ai même ouvert un club, le Volt, à Milan il y a quatre ans. Nous, nous avons la structure et l'argent. Si un créateur a des idées, nous pouvons les réaliser.

FNW : Quelle est la philosophie de NGG ?

CA : Notre mission est de réunir un groupe de personnes qui soient le plus possible unies et capables de créer un projet intéressant. Notre groupe est un peu comme une boutique. L'idée est de susciter un intérêt. Il y aura donc toujours du mouvement. C'est un ensemble d'éléments. Tout est construit autour d'une personnalité, de son énergie. Il n'y a pas de règles, NGG est un monde libre.

Claudio Antonioli dans sa boutique milanaise - DR


FNW : En quelques années, Off-White est devenu un phénomène. Comment est née la marque ?

AC :
Avec Virgil Abloh, nous partageons la même vision de la mode. C'est une personne très intelligente, inimitable. Il a été très habile à créer une vision unique, il a un goût très novateur. Lorsqu'il travaillait avec Kanye West, il avait lancé une marque appelée Pyrex. Je l'ai contacté à ce moment-là pour lui proposer de l’aider à la développer, un peu comme je l'avais fait avec Marcelo Burlon. Mais lui voulait lancer un nouveau label. C’est ainsi qu’est né Off-White. Nous avons toujours limité la distribution en créant une attente. Depuis le début, il n’a cessé de croître. C'est devenu la marque la plus importante du groupe, avec un chiffre d’affaires de 150 millions d'euros.
 
FNW : Ne craignez-vous pas que la nomination de Virgil Abloh à la direction artistique de l’homme chez Louis Vuitton puisse pénaliser Off-White ?

CA : Je ne vois pas de risque car Virgil Abloh a maintenu une réelle distance entre les deux situations, qui sont très différentes l’une de l’autre. À mon avis, c'est un "plus" pour la marque. Comme l’a été le projet avec Nike x Off-White. Tout sert la marque, y compris l'activité de DJ de Virgil Abloh.

FNW : Parmi toutes les marques du groupe, pouvez-vous nous en dire plus sur A_Plan_Application et sur Unravel Project ?

AC: A_Plan_Application est une marque qui est née avec nous et arrive aujourd’hui à sa troisième saison. Côté style, elle est proche d'un univers du type de celui de Margiela, Helmut Lang ou Jil Sander. La designer est l'artiste sculptrice Anna Blessmann, qui vit en Angleterre. Son compagnon est le célèbre graphiste Peter Saville, qui a fait entre autres le rebranding de Burberry et de Calvin Klein.

Le label Unravel Project a été lancé en 2016 par Benjamin Taverniti. C’est le fils de Jimmy Taverniti, un designer français connu dans les années 1990 pour le denim. Il a ensuite déménagé en Californie où il a travaillé entre autres pour Jeremy Scott et a été le directeur créatif de Hudson Jeans. Unravel Project est une marque de mode distribuée dans environ 200 magasins multimarques, qui réalise un excellent chiffre d'affaires, autour de 20 millions d'euros. Nous prévoyons d'ouvrir sous peu une boutique.

FNW : Pourquoi NGG a choisi principalement des marques de streetwear ?

CA : Nous ne sommes pas street ! Le marché l'a demandé à un moment donné. Mais il n’est pas dit que nous continuions dans cette direction. La définition de streetwear a changé au fil des ans. Pour moi street aujourd’hui, c’est comme utiliser le mot classique. Le monde évolue. Aujourd'hui, ce qui est très contemporain, c’est de s'habiller confortable et sans règles. Rick Owens, par exemple, pourrait être considéré comme du street. Il ne faut pas donner d’étiquette précise. Nous sommes nés à une époque où la mode et la rue se parlaient, mais l’on ne peut plus se limiter à cela. L'important est d'être contemporains et novateurs. Notre proposition doit être contemporaine, mais avec un temps d’avance.

FNW: Comment voyez-vous l'évolution de la mode et de la créativité ?

CA : La mode est une expression de notre vie. Ce monde a été investi, comme tous les secteurs, par la révolution d'Internet et de la communication. Je pense qu'il va y avoir une consolidation. Aujourd’hui, il est normal d'avoir un site et de bien communiquer. Internet a facilité la communication en rendant les créateurs plus libres, mais cela a également permis à celui qui était plus doué à communiquer de s’imposer par rapport à quelqu'un de plus créatif. Nous sommes désormais revenus à une situation plus équilibrée.

FNW : Quels sont les projets pour Antonioli ?

CA : L'enseigne compte sept boutiques : deux à Milan, trois à Lugano, une à Ibiza et une à Turin. Nous sommes constamment en croissance. La dernière année a été fantastique. Nous offrons un mixte à 360 degrés sur ce qui se fait dans la mode, de Saint Laurent à Balenciaga en passant par Off-White ou les marques de niche. J'ai ouvert le premier magasin à Milan en 1983, qui a déménagé en 2003 Via Pasquale Paoli, dans le quartier des Navigli, puis le e-commerce en 2008. Récemment, j'ai acheté de nouveaux espaces adjacents qui vont me permettre d'agrandir la boutique milanaise pour atteindre une surface de 700 mètres carrés.
 

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