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2 oct. 2018
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DEFI : les professionnels font front face aux coupes budgétaires

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2 oct. 2018

Alors que Bercy entend prélever 7 % des ressources du DEFI pour 2019 et plus encore l'année suivante, comme le révélait FashionNetwork le 27 septembre, les professionnels de la mode serrent aujourd’hui les rangs. Sept présidents de fédérations signent ainsi ce mardi une tribune publiée par L'Opinion appelant à ne pas fragiliser l’organe de soutien au savoir-faire, à l’innovation et à la création française.


Le ministère des Finances - Shutterstock


« Cette annonce a sidéré les professionnels qui avaient salué le discours d’Emmanuel Macron le 5 mars dernier soulignant le rôle des créateurs dans l’économie », pointe ainsi cette tribune, qui dénonce une mesure incompréhensible et décidée sans concertation avec la filière. « Cette baisse des ressources du DEFI, si elle était votée, porterait un coup sérieux au secteur, notamment au dynamisme de la création française et à l’internationalisation des PME. Son impact sera négatif au plan économique et sans effet sur les finances publiques. »

Les signataires rappellent que le DEFI accompagne chaque année 550 entreprises avec un budget de 10 millions d’euros collectés auprès des entreprises du secteur via la taxe affectée. Pour les signataires, la ponction de 7 % d'une taxe mise en place par la filière pour son propre usage et qui représente un montant annuel de 10 millions d’euros est un nouvel impôt imposé aux sociétés. Et surtout un préalable à une « ponction » plus importante, de 20 %, dès 2020.

« Le secteur de la mode ne demande aucune aide ni subvention, rappelle la tribune. Il estime qu’il a su mettre en place une "taxe optimale" en instaurant un système efficace et exemplaire sans peser sur le budget de l’Etat. Les professionnels demandent que les ressources du DEFI au profit des entreprises soient respectées et que son apport crucial à cet écosystème soit reconnu. »

Ce regroupement de fédérations*, auquel ne s'est pas associée cette fois la Fédération de la haute couture et de la mode, souligne ainsi que le secteur de la mode pèse pour 150 milliards d’euros de chiffre d’affaires, soit 1,7 % du PIB et 2,7 % en comptant les effets induits. Et rappelle au passage les mots prononcés par le ministre de l’Economie en novembre 2017 au Forum de la Mode : « Vous êtes l’un des secteurs dans lesquels les décisions fiscales prises par le gouvernement seront les plus positives ».

« Certaines actions ne sont pas assez utiles »

Hasard de calendrier, le secrétaire d’Etat auprès du Premier ministre, Benjamin Griveaux, participait ce 2 octobre à une table ronde organisée chez Experienced Capital Partners sur la thématique des nouveaux visages du commerce. L’occasion pour l’un des signataires de la tribune, Pierre-François Le Louët, président de la Fédération Française du Prêt à Porter Féminin, d’interpeller le porte-parole du gouvernement en insistant sur l’enjeu de la taxe affectée pour le DEFI. « Nous avons besoin de votre aide sur le sujet ! » a ainsi lancé le représentant professionnel après avoir détaillé les menaces pour le secteur.

« La priorité, c’est de baisser la dépense publique, a déclaré Benjamin Griveaux. Nous connaissons l'utilité de ce type d'organisme. C'est aussi aux secteurs de s'organiser. Aujourd’hui, on considère que les grands groupes peuvent contribuer au moins autant à ce type de dispositif qu’une taxe affectée. Le DEFI n’est pas le seul organisme qui va voir sa dotation concernée, d’autres même bien plus, comme les Chambres de commerce (lire notre article sur le sujet). Certaines actions ne sont pas assez utiles, il faut le dire. Il faut pouvoir s’interroger sur nos outils et notre fonctionnement. Pourquoi, malgré certains dispositifs, est-on si nul à l’export ? Maintenant, concernant le DEFI, vous trouverez peut-être des parlementaires qui seront attentifs à la question mode. »

Interrogé par FashionNetwork.com sur les « grands groupes » qu’il évoque, le secrétaire d’Etat précise sa pensée. « Il s'agit de 700 000 euros (prélevés sur le budget du DEFI, ndlr) sur la première année ? Les grands groupes de luxe, qui réalisent des rapport RSE de plusieurs centaines de pages, ne peuvent-ils pas s'impliquer plus ? » Ces acteurs, LVMH et Kering en tête, seront-ils prêts à compenser ce que l’Etat compte s'approprier sur une taxe devant, au départ, bénéficier à la filière ?

« Notre financement est déjà équilibré : nous sommes déjà à 40 % financés par les grands groupes, à 40 % par les importateurs et à 20 % par les PME », nous rappelle Clarisse Reil, directrice générale du DEFI. « Le sentiment partagé par les professionnels, c’est que les services de Bercy ont idéologiquement un problème avec les taxes affectées depuis plusieurs années déjà. Aujourd’hui, en vérité, il est peu probable que nous trouvions un sponsor à dix millions d’euros. Quant aux importateurs, si on supprime le principe de la taxe affectée, validé par Bruxelles, il est également peu probable qu’ils reviennent d’eux-mêmes pour participer au budget de fonctionnement. »

« Ce n’est pas réellement une découverte », confie à FashionNetwork.com Marc Pradal, président de l'Union Française des Industries Mode et Habillement et signataire de la tribune. « Cela fait quelques années que l’Etat, la DGE et Bercy regardent de plus près tout ce qui touche l’environnement des organisations professionnelles, Centres Techniques Industriels (CTI) et Comités Professionnels de Développement Économique (CPDE), dont fait partie le DEFI. Ce gouvernement veut marquer de son empreinte en instaurant des baisses de taxes sur les entreprises. Or, cette taxe, une grande majorité de nos adhérents la souhaitait. Elles n’occasionnent que des frais de gestion très faible et sont redistribués à bon escient en quasi-globalité aux entreprises. »

Une filière largement consternée

« Le DEFI accompagne les FashionTechDays depuis le début il y a quatre ans, ainsi que les FashionGreenDays, rappelle de son côté Annick Jehanne, fondatrice de la coopération de formations mode et textile Hubmode, installée à Tourcoing. Et il y a un grand nombre de start-up dans ces domaines et de designers qui sont aidés par le DEFI. Car il faut que la filière les aide, aussi bien en visibilité qu’en fonds : ces nouveaux acteurs sont en train de bâtir ce futur, via des solutions digitales, des outils pour l’expérience client, des textiles du futur, une mode utilisant moins de déchets. Tous ces axes nouveaux, pour que les professionnels puissent les porter, il n’y a pas de secret : il faut les aider. Tous les pays qui ont une industrie de la mode forte aident énormément leurs créateurs. Donc c‘est absolument incompréhensible que l’on veuille réduire l’appui qui leur est donné. »

« Les premières saisons sont toujours les plus difficiles pour les jeunes créateurs : c’est à ce moment-là qu’ils ont le plus besoin de soutien », confirme Patricia Lerat, consultante dans la mode depuis 25 ans, spécialisée dans l’accompagnement des jeunes créateurs. « Des aides comme celle du DEFI permettent à de jeunes marques ou designers d’avoir, par exemple, une présence sur les salons parisiens ou à l’étranger. Dans la stratégie commerciale de ces labels débutants, c’est une aide primordiale. Et il y a un retour sur investissement, car ces marques aujourd’hui existent et sont représentatives des savoir-faire et de la créativité française. »


« Vous êtes l’un des secteurs dans lesquels les décisions fiscales prises par le gouvernement seront les plus positives », annonçait en novembre dernier Bruno Le Maire à la filière - Défi


« S’il n’y avait pas ces aides, je ne pourrais pas présenter ma collection pendant la Fashion Week », renchérit Eliane Heutschi, créatrice et fondatrice de la marque Savoar Fer, sélectionnée depuis quelques saisons à Designers Apartment. « Quand on débute, il faut créer une relation de confiance avec les clients, cela prend du temps. Cela serait quasiment impossible sans un soutien comme celui que nous donne le DEFI dans cette phase délicate. Etre présent sur les salons coûte cher. »

« Nous avons mis le pied à l’étrier à des marques qui aujourd’hui sont citées en exemple, créent de l’emploi, de la croissance… rappelle Clarisse Reille. Aujourd’hui, nous devons arriver à expliquer factuellement aux politiques que nous avons mis en place un système vertueux. Il faut comprendre que les 10 millions qui sont injectés en soutien à la création rapportent 13 millions directement en impôts et taxes. Il y a un retour sur investissement. Bercy n’a même pas fait cette étude d’impact ! »

Face au changement de ton de Bruno Le Maire, aux réponses de Benjamin Griveaux et à l’apparente surdité du gouvernement sur la question, les regards sont désormais tournés vers les parlementaires. La Commission des finances de l’Assemblée nationale doit en effet commencer à se pencher sur le projet de loi de finances, et donc sur le cas des taxes affectées, dès la fin de semaine.
L'occasion pour le secteur de faire entendre sa voix.

Matthieu Guinebault avec la rédaction

*La tribune parue ce mardi est signée par Lucien Deveaux, président du DEFI ; Christian Pimont, président de l’Alliance du Commerce et de la Fédération des Enseignes de l’Habillement ; Marc Pradal, président de l’Union Française des Industries Mode et Habillement ; Pierre-François Le Louët, président de la Fédération Française du Prêt À Porter Féminin ; Claude Miserey, président de la Fédération Française des Industries du Vêtement Masculin ; Claude Tétard, président de la Fédération Française des Industries de Chemiserie Lingerie ; Daniel Crépin, président de la Fédération des Industries Diverses de l’Habillement-Mode et Accessoires.

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