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7 juil. 2021
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De jeunes marques françaises veulent défendre un modèle local et responsable

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7 juil. 2021

Voir des entreprises de mode recourir à une action collective n'est déjà pas courant. Mais que celles-ci s'unissent d'une seule voie pour demander plus de taxes, cela tient de l'évènement. Ce mercredi, une centaine de jeunes marques françaises, de la start-up digitale au label bien installé, ont décidé de faire front commun. On retrouve là Loom, Asphalte, 1083 ou encore Picture Organic, Ubac et Jules & Jenn.


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Leur propos: demander un renforcement, dans les prochains mois, de l'éco-contribution, cette taxe appliquée sur chaque produit vendu pour financer les filières de recyclages. Les signataires, qui sont également soutenus par certains de leurs fournisseurs industriels et de leurs prestataires dans la démarche, associent leur initiative à une réponse à l'urgence climatique.

"Nous sommes des marques textiles françaises et nous essayons de faire notre part dans la lutte contre le changement climatique, mais nous constatons que nos efforts sont sans effet si toutes les entreprises qui vendent des vêtements en France ne s’impliquent pas à la même hauteur", avancent les signataires.

Ce que pointent du doigt ces marques françaises, dont l'activité est pour la grande majorité locale ou européenne, c'est le modèle actuel de production et commercialisation des vêtements et accessoires de mode. Ces marques dénoncent ainsi ce qu'elles considèrent comme une “prime au vice” expliquant que "quand nous ralentissons le rythme de nos collections, afin de moins pousser à la consommation, d’autres marques renouvellent les leurs toujours plus rapidement, nous prenant ainsi des parts de marché. C’est indéniable: il y a aujourd’hui un avantage économique à produire de manière irresponsable".

Cette tribune n'est bien évidemment pas anodine, alors que l'Elysée vient de tenir une exposition sur le fabriqué en France et à l'heure où la question des relocalisations industrielles est sur la table dans l'Hexagone, quelques mois avant l'élection présidentielle.

A noter que, née pendant le confinement, l'association Savoir Faire Ensemble, qui réunissait industriels et marques, continue d'ailleurs son action sous le nom Façon de faire.

Pour soutenir des acteurs qui revendiquent une production souvent européenne voire française, trois propositions ont été formulées dans le cadre d'une redéfinition du cadre de l'éco-contribution.

La ministre de l'environnement Barbara Pompili a en effet demandé à l’éco-organisme Refashion de se mettre en conformité avec les ambitions de la loi AGEC (anti-gaspillage et économie circulaire), précise l'Ademe, l'agence de la transition écologique à FashionNetwork. "Pour se faire, il a été demandé à l’éco-organisme de poursuivre les travaux sur la définition de critère d’éco-modulations initiés par l’ADEME afin de proposer à la ministre d’ici Octobre 2021 des critères de performance environnemental".

"Le dispositif des éco-contributions repose sur le principe de non-lucrativité, explique l'Ademe. C’est pour cela que la loi AGEC a instauré un système de prime et de pénalité et qu’il existe déjà des modulations de l’éco-contribution sur la fin de vie". Les signataires de la tribune souhaiterait donc voir ce concept de primes et pénalités considérablement renforcé.



Une taxe pouvant aller jusqu'à 5 euros par vêtement



D'abord, les signataires proposent de créer une incitation d'ici 2025 à la bonne pratique sur cette taxe qui est aujourd'hui de 6 centimes d'euros par vêtement. Cela passerait par un mécanisme qui pénaliserait les plus mauvaises pratiques, avec une taxe pouvant aller jusqu'à 5 euros par vêtement.
 
Le collectif estime que la priorité sera de "l’indexer sur les émissions de gaz à effet de serre, dont 70% proviennent de la phase industrielle, les matières premières représentant à peine 30%. Cela favoriserait par la même occasion la relocalisation de l’industrie en France où l’énergie est moins carbonée".
Il souhaite aussi clairement mettre en place un outil de sanction contre le greenwashing et les modèles comme ceux de la fast-fashion. Dans son approche, l'éco-contribution pourrait pénaliser "les stratégies de forte incitation à la consommation".

La tribune met en en effet en opposition les modèles de ces TPE et PME françaises et ceux des grands groupes mondialisés de fast-fashion, citant notamment les acteurs britanniques Primark et Boohoo, l'américain Forever 21, qui a quitté la France et a récemment été racheté, le suédois H&M ou l'espagnol Zara, enseigne phare du groupe Inditex.

Mais une telle refonte concernerait l'ensemble du secteur, bien au-delà des géants de la fast-fashion. En 2019, l'approvisionnement en Asie était un élément incontournable du secteur textile pesant pour 60% des importations de vêtements en France.

Toutefois, si les productions sont encore très nombreuses en Extrême-Orient, l'observatoire de l'Institut français de la mode (IFM) relevait en début d'année que la crise liée à la pandémie de Covid-19 avait largement rebattu les cartes. Nombre d'entreprises ont revu leurs cartes d'approvisionnement, pour pouvoir rester flexibles face à des paralysies du commerce international.

Difficile d'évaluer le greenwashing ou les stratégies poussant à la consommation



Si la transformation des critères de calcul de l'éco-contribution pourrait potentiellement intégrer le poids des émissions de gaz à effet de serre pour la production ou le transport d'un vêtement jusqu'à son lieu de commercialisation, associer une évaluation du greenwashing ou d'une stratégie poussant à la consommation pourrait être plus complexe à mettre en oeuvre.

"Pour nous qui sommes de petites marques, c'est plus facile de faire bien", explique Julia Faure, cofondatrice et l'une des instigatrices de la tribune à l'AFP. "Si H&M décidait de relocaliser en France la production d'un sweat-shirt produit aujourd'hui au Bangladesh, il lui coûterait dix fois plus cher. Pour que les grandes marques arrivent à faire mieux, il faut une régulation qui arrête de favoriser ceux qui font mal."

Mais la mise en place de ces nouveaux critères ne garantirait pas forcément un changement drastique. H&M, explique en effet s'appuyer sur 1.600 prestataires industriels dans le monde, avec pour premiers pays de production la Chine et le Bangladesh et Inditex compte plus de 2.500 unités de production travaillant pour lui dans l'Empire du Milieu. Mais dans le même temps le géant espagnol produit aussi en Espagne, Portugal et dans le pourtour méditerranéen pour répondre à ses besoins de réactivité. Il y compte bien plus de partenaires qu'au Bangladesh.

Enfin, malgré les réglementations sociales et le droit du travail présents dans les pays européens, le Made in Europe n'est pas forcément une assurance comme l'a douloureusement rappelé l'exemple des sous-traitants britanniques de Boohoo l'an dernier.


La proposition du collectif de marques françaises qui mobilisent réellement des communautés de consommateurs engagés a le mérite de mettre en lumière un questionnement de société. L'Etat et les personnalités politiques sauront-ils s'en emparer?
 

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