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Fabien Versavau (Rakuten France) : "Nous ne faisons pas le même métier qu’Amazon"

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17 déc. 2018

Laissant derrière lui l’appellation PriceMinister, Rakuten France opère depuis 18 mois un changement de modèle, privilégiant d’un côté la fidélisation à l’acquisition de nouveaux clients, et déployant de l’autre des outils générant trafic online et offline pour les marques. Après le click&collect chez des enseignes partenaires,  Rakuten va désormais inciter pécuniairement ses membres à consommer chez 130 marques partenaires. Un paradigme nouveau que nous explique Fabien Versavau, qui a récemment pris les rênes de l’activité tricolore.


Fabien Versavau - Rakuten France


FashionNetwork.com : Derrière l'abandon du nom PriceMinister, quels changements sont à l'œuvre ?

Fabien Versavau : Nous finalisons un cycle qui a commencé lors du rachat de PriceMinister par Rakuten en 2010. Nous avons développé la marque Rakuten et son écosystème. Pour rappel, Rakuten, c’est le quatrième acteur mondial du e-commerce, 120 milliards d’euros de volume d’affaires. La France est la deuxième plus grosse activité d’e-commerce après le Japon, où Rakuten fait beaucoup de choses (banque, assurance, finance, télévision, médias, messagerie via Viber)… Tout cela compose l’identité, le premier pilier, de Rakuten. Le second, c’est le membership : nous sommes le plus gros programme fidélité gratuit au monde, avec 1,2 milliard de membres. Quand tous les acteurs d’Internet ne font que de l’acquisition de nouveaux clients, nous, nous avons parié sur la rétention de ces clients. On a donc créé une monnaie virtuelle, les "Super points", que vous gagnez quand vous achetez, vendez, commentez… Un modèle cash back dans lequel vous dépensez vos gains au sein même de l’écosystème avec votre Rakuten ID, un identifiant unique pour toute l’offre du groupe.

FNW : Comment ce système a-t-il pris en France ?

FV : En France, 18 mois après le lancement du "Club" et des "Super points", on compte 1,25 million de membres et 25 millions d’euros émis en "Super points". Contrairement à la majorité des sites, nos budgets marketing sont surtout orientés dans la gestion de la fidélisation. Là où d’autres investissent à 90 % dans de coûteuses campagnes d’acquisition où les clients sont ciblés encore et encore. Cette approche nous est propre. Une autre spécificité est notre équilibre entre les ventes B2C et C2C, pesant respectivement 65 % et 35 % des ventes.

FNW : Comment se traduit cette politique de membership dans vos ventes ?

FV : On change de modèle économique : les acteurs du e-commerce ont un coût d’acquisition, et en face une marge qu’ils calculent pour chaque transaction. Depuis douze mois, nous ne fonctionnons plus comme ça : nous mesurons la valeur cumulée d’un client à 24 mois. On sort de la logique du coût d’acquisition, on cherche à recruter des membres de qualité. Et, ensuite, des dispositifs comme les "Super points" sont là pour augmenter le taux de réachat, et doper la customer lifetime value (valeur vie client en français) du membre. Nous pivotons d’un site transactionnel vers un site de communauté. En novembre, 55 % de nos ventes ont été générées par nos membres. Un taux qui grimpera à 70%-75 % d’ici à fin 2019. La marge est multipliée de un à six entre un client non-membre et un membre, sur 24 mois. Le second achète cinq à huit fois plus que le premier (un non-membre réalise en moyenne 2,5 achats par an).

FNW : Mais, coté marques, vous vous positionnez en tant que prestataire…

FV : C’est le troisième pilier de Rakuten : l’empowerment, que je traduirais par « être un partenaire et pas un concurrent pour les commerçants ». Rakuten ne veut pas devenir un retailer ; il ne va pas racheter de réseau physique. Mais nous disons aux retailers que nous avons des outils pour permettre aux détaillants de profiter du développement du e-commerce, pour développer ses marges. Nous signons des partenariats commerciaux partout dans le monde, notamment avec Boulanger et Easy Cash en France, dont nous référençons toute l’offre sur la marketplace, et nous faisons du click&collect pour leur permettre de générer du trafic.

FNW : Le "Club R Everywhere" est-il l’étape suivante de ce programme ?

FV : Oui, nous ouvrons à présent le Club Rakuten aux partenaires. Nos membres gagnent désormais des points chez 130 marques participantes au programme en France. Nous en compterons 400 à l’été prochain. Au Japon, où l’efficacité de ce modèle a été validé, il est même désormais possible de dépenser ses points chez certains partenaires. C’est ce que nous appelons "l’open e-commerce", à la jonction du programme fidélité et du cash back. Le seul frein est culturel, notamment dans le domaine de la mode. Mode et beauté sont chez nous des rayons secondaires, pesant environ 15 % de l’activité. En Asie et aux Etats-Unis, toutes les grandes marques sont sur les places de marché. En Europe, il demeure une sorte de schisme, avec une méfiance vis-à-vis de certaines places de marché. Cette perception disparaîtra bientôt ici aussi, et c’est à cela que l’on se prépare. Nous apportons une audience supplémentaire, à laquelle les détaillants n’auraient pas eu accès car les coûts d’acquisition sont trop élevés. Ce n’est pas de la cannibalisation.

FNW : La mode est donc une cible pour vous ?

FV : Une grande part de notre clientèle est composée de clientes urbaines de 29 à 39 ans, donc nous sommes pile dans le cœur de cible pour plein d’enseignes milieu de gamme. La seule limite est la volonté des enseignes de franchir le pas et de tester l’efficacité de nos dispositifs. Ces enseignes subissent des baisses de trafic, des hausses de loyers qui réduisent leurs marges, la concurrence d’enseignes à bas coûts et d'acteurs du digital. Et malgré cela, nous ne sommes pas toujours compris. Certains nous voient comme un Amazon. Alors que nous ne faisons pas le même métier qu’Amazon, qui fait de la vente en direct et de la logistique. Nous, nous faisons de l’empowerment des marques, nous voulons être un outil pour elles.
 

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