Fashion Week de New York, jour 2: Anna Sui, Heron Preston et Sergio Hudson

Auteur :

Godfrey Deeny

Traduit par
Anne SCHILLING

Publié le
13 févr. 2023

Samedi soir, trois défilés consécutifs ont témoigné de la renaissance de la mode américaine, de la soirée intime de la doyenne Anna Sui à la présentation street chic de Heron Preston, en passant par le glamour provocateur des années 90 signé Sergio Hudson. La Fashion Week de New York semble soudain retrouver toute sa pertinence.

Anna Sui : "Peppermint Twist", une puissante renaissance  

 
La pandémie a fait des merveilles sur la créativité d'Anna Sui. Elle a réalisé quelques-unes des meilleures vidéos de collection de la période de confinement. Ce week-end, elle a organisé un grand défilé dans un petit bar du quartier d'East Village devant à peine 80 personnes, qui ont pu admirer le talent de Sui à son paroxysme - des vêtements hipster lumineux et joyeux capturant toute l'insouciance de la jeunesse.

Elle s'est inspirée de photos de Baby Jane Holzer, la superstar d'Andy Warhol, dansant au Peppermint Lounge, le club de Midtown qui a donné naissance à la folie du Twist dans les années 60.
 
Les modèles de Sui ont fait leur entrée en dansant sur une petite scène avant de faire le tour du bar, vêtues de superbes déshabillés en faux cuir aux tons métalliques, de caracos, de jupes et de trenchs de soirée - associés à des collants en maille pailletée et des bottines assorties.
 
Les boléros en fausse fourrure, les vestes en laine chenille, les manteaux et les pulls à motif pied-de-poule ou les parkas style camouflage dégageaient tous beaucoup d'esprit et d'énergie. Des pièces conçues dans une palette Pop Art façon bubble gum, entre rose vif, rose tendre, bleuet et, bien sûr, menthe poivrée. C'était un peu comme si la petite-fille de Coco Chanel avait fui la France pour aller profiter d'un afterwork dans le Lower East Side.
 

26 looks seulement, et une distribution minimaliste, avec quelques mannequins qui ont changé jusqu'à trois fois de tenue. Le point culminant a été atteint avec les apparitions des stars des défilés, Sasha Pivovarova et Jessica Stam, dans des robes de soirée spectaculaires: Sasha Pivovarova, dans un modèle à paillettes en peau de serpent avec des empiècements en dentelle, porté sur des collants assortis, et Jessica Stam dans un fourreau à paillettes roses rehaussé d'un soutien-gorge en dentelle.
 
"Je voulais créer des petites robes pour danser", a déclaré Sui, qui a rappelé dans sa note de programme la joie qu'elle a ressentie lorsque, adolescente, elle a pu porter la culotte en dentelle noire de sa mère sous un manteau en faux léopard afin de restituer l'humeur d'Elizabeth Taylor lorsqu'elle a remporté son premier Oscar pour "La Vénus au vison". 
 
Le résultat s'est traduit par un moment de mode mémorable, intitulé "Heaven Can Wait", accompagné par une superbe bande-son, offerte par sa nièce Isabelle Sui - une playlist composée  de morceaux de Patty & The Emblems, The Cramps et The Ramones.
 
Une foule de proches et d'amis, tels que Marc Jacobs, Sofia Coppola, Michelle Hicks et Karen Elson, a envahi la salle dès qu'Anna a tiré sa révérence. C'est formidable de la voir revenir à ce qu'elle sait faire de mieux: créer un glamour de rock star avec une touche de désinvolture.

 Heron Preston: le développement durable envahit les rues

Au cours d'une saison placée sous le signe de l'inclusivité, rien n'a mieux illustré l'éventail de talents qui s'épanouissent parmi les créateurs noirs que deux défilés en soirée: tout d'abord celui de Heron Preston, puis celui de Sergio Hudson.
 
Photographe et DJ à l'origine, Heron Preston est devenu un créateur important, dont on ne peut qu'admirer la capacité à saisir les tendances et l'engagement envers sa communauté et le développement durable sous toutes ses formes.
 
Quatre ouvriers vêtus de gilets orange ont ouvert le show en défilant dans un espace brut pour dessiner des marques de rue à l'aide de minuscules rouleaux de peinture. Des lignes que les modèles ont ensuite suivies avec précision, avant qu'une amazone blonde ne vienne défiler, vêtue d'un body en mousseline de soie noué.
 
Mais le plus grand talent de Heron reste celui de mélanger les tenues de sport aux tenues de soirée - comme sa robe asymétrique coupée en biais surmontée d'un gilet de runner et portée avec des gants en cuir montant jusqu'aux coudes.
 
Parmi ses plus beaux looks pour les filles, on peut citer une combinaison de jupe asymétrique, de boléro en polaire côtelée et de bottes à talons hirsutes, mais aussi des robes décontractées en maille technique graphique avec des dessins en BD de son logo, des pull-overs à imprimé barbouillé ou des brassières en patchwork de denim recyclé.
 
Pour les garçons, des vestes de baseball blanches avec des manches en cuir noir, au dos orné de diables de bande dessinée, des chemises blanches impeccables avec des motifs de flèches, ou encore des manteaux de pompier savamment usés, fermés par de larges boucles.

Heron Preston est aussi très respectueux de l'environnement. Ses invitations étaient conçues avec des bouts de carton récupérés dans les poubelles de Chinatown et de Brooklyn. Il a puisé son inspiration dans la ville elle-même, les éléments en cotte de mailles évoquant des clôtures de chantier.
 
"Je voulais intégrer des objets trouvés à la collection. Je voulais garder cet espace aussi minimaliste que possible, de sorte que les lignes électriques constituent des repères sur le podium", a expliqué Preston, qui a recouvert les chevilles, les poignets et les cous de faux fils barbelés noirs pour aider à créer une ambiance qui était à la fois dynamique, intelligente, "clubby", créative et plutôt vendeuse.
 
Lorsqu'on lui a demandé de définir son ADN, il a répondu en coulisses : "Quelques couches, la compréhension des couleurs et des textures, la compréhension de la communauté et la connexion avec elle, le rapprochement de différents mondes".
 
Après avoir exposé à Paris, le premier défilé pour le retour à New York du créateur originaire de San Francisco a été organisé dans un service d'assainissement. Preuve que le recyclage et la durabilité restent des éléments clés pour Preston.
 
"Nous avons un programme de radiographie qui examine les matériaux, le cycle de vie complet d'un vêtement, sa chaîne d'approvisionnement et le contrôle des usines. Nos baskets sont fabriquées en matière plastique alvéolaire (un type de polyuréthane), ce qui leur permet d'être entièrement recyclées. Pas de colle ni de coutures. Ainsi, lorsque vous voulez une nouvelle paire de chaussures, vous pouvez la décomposer pour en faire des baskets toutes neuves", a-t-il souligné.
 
Pour la vidéo de son défilé, le créateur voulait inclure la perspective du podium, il a donc utilisé une caméra vidéo qui s'est promenée sur la scène le temps du show. Une technique qui donne une sensation d'effervescence à un défilé aussi impressionnant que la collection.

Sergio Hudson : retour aux pimpantes années 90

Peu de créateurs, où que ce soit, font du glamour sexy mieux que Sergio Hudson, surtout avec une nuance "nineties" comme cette saison.
 
Ce week-end, sa collection Automne/Hiver 2023 contenait de multiples références à Versace, mais toujours avec la touche "Sergio". Pour ceux d'entre nous qui ont eu la chance d'assister aux défilés de couture épiques de Gianni dans la piscine du Ritz, les costumes impeccablement coupés de Hudson, les mini-boléros accrocheurs, les pantalons évasés et les jupes crayon rappelaient tous le maître italien. Tout comme la palette de couleurs - citron vert, orange, rose baiser et jaune canari -, les coiffures à la Barbarella, et jusqu'à la bande-son.
 
Dans aucune des quatre grandes capitales de la mode la musique n'occupe une place aussi importante qu'à New York. Elle est mise en valeur dans ce défilé, avec des morceaux dance de CeCe Peniston, Inner City et Robin S.
 
"Chez moi, c'est toujours un peu les années 90", a plaisanté Hudson dans les coulisses, après avoir été embrassé par son équipe absolument enchantée.
 
Les robes-manteau à quatre poches, les vestes Eisenhower provocantes et les robes de soirée en mailles à peine visibles avaient toutes beaucoup d'allure. Les membres de son équipe, dont la top modèle Veronica Webb, ont manifestement adoré leurs tenues et ont défilé sur le podium des Spring Studios à Tribeca, le site principal de la saison.
 
Avec les principaux acheteurs assis au premier rang, immortalisant joyeusement la collection grâce à leurs iPhone, Hudson a présenté de nombreuses pièces phares, notamment en denim, des robes-chemises plissées aux costumes accrocheurs.

Le défilé proprement dit était composé d'une superbe image de graffiti du célèbre peintre Jason Naylor, des motifs utilisés dans des imprimés Naylor habilement brodés et sublimés que l'on retrouve sur des mini-jupes et des robes. 
 
"Tout le monde prévoit des temps difficiles, alors je voulais insuffler de la joie et du bonheur. Faisons la fête, soyons heureux, nous sommes encore en vie", a déclaré le barbu Sergio Hudson, qui s'est incliné dans son propre manteau impérial romain en laine bouclée de couleur pourpre. 
 
Le chemin de Hudson vers la notoriété dans le monde de la mode new-yorkaise n'a pas été facile. "Élevé en Caroline du Sud, il a découvert la mode dans les magazines avant d'étudier le métier au Bauder College. Il a ensuite habillé Michelle Obama et Kamala Harris lors de l'inauguration présidentielle de 2021.
 
À sa grande honte, la mode a pris du retard par rapport à d'autres industries artistiques comme la musique et le cinéma s'agissant de donner du pouvoir aux personnes de couleur. C'est enfin en train de changer.
 
Ce week-end, la télévision et les médias ont également été dominés par la préparation du premier Superbowl à voir s'affronter deux quarterbacks noirs. Ainsi, le fait d'assister à ces deux performances dynamiques de créateurs noirs très disparates a fait de ces événements des moments très importants.