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26 juil. 2022
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Frank Boehly (Conseil national du cuir): "Le cuir est certainement l'activité de recyclage la plus ancienne au monde"

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26 juil. 2022

La filière française du cuir, qui vient de présenter son premier livre blanc RSE, organisera en septembre prochain la quatrième édition de son Sustainable Leather Forum (SLF) destinée, entre autres, à balayer les idées reçues et dépoussiérer l'image du cuir. A deux mois de l'événement, Frank Boehly, président du Conseil national du cuir (CNC), revient sur les préjugés qui minent la filière, et décrypte les innovations entreprises par les acteurs du secteur pour réduire leur impact environnemental. Interview. 


DR



La filière française du cuir vient de sortir son livre blanc RSE pour balayer les idées reçues sur cette matière ancestrale. Pourquoi cette initiative?

Frank Boehly : Notre filière est très engagée en matière de RSE, et ce depuis de très nombreuses années. Elle souhaitait non seulement communiquer auprès du grand public, mais aussi encourager les différentes entreprises du secteur. On parle souvent du cuir, mais pas toujours pour en dire du bien, donc il nous a paru pertinent de sortir un ouvrage structuré pour dire la réalité des choses, et balayer certaines idées reçues.

Quels sont justement les préjugés qui entourent le cuir?

FB : Il y en a plusieurs, des anciens comme des plus récents. Ce sont d'ailleurs souvent des idées qui deviennent 'reçues' car on les répète en permanence; ce qui n'empêche pas qu'elles soient erronées. Mais à force de les entendre, le grand public les imprime, et c'est tout le problème. On dit, par exemple, qu'on élève les animaux pour leur peau. Ce qui est fondamentalement faux, pour la simple et bonne raison que la valeur de la peau représente 5% de la valeur globale d'un animal en moyenne. Le reste étant la valeur de la viande. Sur le plan économique, qui élèverait un animal pour 5% de sa valeur ? Cela n'a aucun sens. Dans la plupart des cas, les animaux sont élevés pour leur viande ou pour leur lait, et non pour leur peau. On parle aussi beaucoup de l'impact environnemental du cuir, qui serait très polluant. Je ne vais pas revenir sur la question de l'élevage, qui, comme je viens de le dire, est un non problème en ce qui concerne la filière du cuir... Mais la fabrication du cuir a elle-même en réalité un très faible impact sur l'environnement.

Le tannage est pourtant pointé du doigt pour son caractère polluant. Ce n'est pas le cas?

FB: Le sujet principal en matière d'environnement est effectivement le tannage et la mégisserie, qui est le tannage des peaux d'ovins. Leur supposé impact sur l'environnement repose sur un certain nombre d'éléments : l'usage de produits chimiques et une importante consommation d'eau, qui induisent des rejets tout aussi impactants. Ce sont les principaux éléments qui sont le plus souvent pointés du doigt. Il faut savoir qu'en France et en Europe, la filière du cuir est régie par une foule de règles extrêmement strictes, et que l'Europe est probablement la région du monde dans laquelle les consommateurs sont le mieux protégés. La règlementation est notamment contraignante pour l'utilisation de produits chimiques qui pourraient porter atteinte à la santé, et l'ensemble des tanneries et mégisseries françaises et européennes y sont bien évidemment soumises. Cela a eu pour incidence la disparition de certaines, mais toutes celles qui perdurent sont celles qui ont le moins d'impact sur l'environnement. Cela ne veut pas dire qu'elles n'en ont pas du tout, c'est impossible, mais cela reste très faible.

L'émergence de nouvelles matières se présentant comme des alternatives au cuir accentue-t-elle le poids de ces idées reçues?

FB : Le fait que de nouvelles matières apparaissent sur le marché, et que certains fabricants, marques, et distributeurs les utilisent n'est absolument pas un problème. En tant que professionnels, nous sommes forcément en faveur de l'innovation, et respectons donc ces initiatives. On sait très bien que l'ensemble des industriels de notre secteur n'utilise pas que du cuir, que ce soit pour fabriquer des chaussures, des gants, des ceintures, ou de la maroquinerie. On souhaiterait seulement que la capacité de résistance et la composition de ces nouvelles matières soient connues des industriels, des artisans, et des consommateurs. On voit bien qu'il y a un engouement pour ces matières, ce que l'on peut comprendre, mais il faut davantage de transparence sur leur impact environnemental et leurs performances, d'autant plus qu'elles sont sans cesse comparées au cuir. L'institut FILK a d'ailleurs publié une première étude l'an dernier, démontrant que les qualités physico-mécaniques de ces matières sont éloignées de celles du cuir, tout comme leur durée de vie qui est plus courte. Il est important que les arguments de vente utilisés pour vanter leurs mérites soient vérifiés pour éclairer les consommateurs.

Symboliquement, n'est-ce pas un signal fort que de grandes maisons comme Hermès aient déjà expérimenté certaines de ces nouvelles matières?

FB: L'image est quelque chose de très important, car c'est une notion émotionnelle. Le fait que l'une des maisons les plus prestigieuses se saisisse de l'une de ces nouvelles matières pour fabriquer des sacs, transmet effectivement l'idée que l'on pourrait substituer une matière à une autre. Mais ce n'est pas parce que les acteurs de la filière utilisent ou expérimentent certains matériaux que cela va en faire une voie royale, ni que ces matières vont devenir la norme. Il y a énormément de fabricants qui font des essais, et proposent des échantillons, mais il ne s'agit pas de commercialisation à grande échelle.


Frank Boehly - DR



La filière se bat pour que ces nouvelles matières ne soient pas apparentées à du cuir. Au Portugal, il est d'ailleurs désormais interdit d'utiliser les termes 'cuir végan'. En quoi est-ce important?

FB: A partir du moment où on associe les mots 'cuir' et 'végan', on suggère au consommateur qu'il va acheter un produit qui a les caractéristiques du cuir et une origine végétale. Ce qui est impossible, puisque le cuir est obligatoirement d'origine animale. Nous souhaitons éviter que les consommateurs soient induits en erreur. Plusieurs pays planchent sur cette question, mais nous avons interpellé la Commission européenne pour qu'il y ait une appellation cuir au niveau européen. L'objectif est de faire en sorte qu'il n'y ait plus qu'une seule et unique réglementation, qui permette au public d'accéder à une information claire et transparente.

La filière du cuir tente-t-elle de se réinventer pour amoindrir son impact sur l'environnement? 

FB: Bien évidemment, mais comme absolument toutes les filières industrielles et artisanales. Il faut sans cesse être innovant pour conquérir de nouveaux marchés, et c'est valable pour la question de l'éco-responsabilité. Nous sommes d'ailleurs en train de mettre au point un système de traçabilité qui va permettre de savoir avec exactitude d'où vient le cuir utilisé pour fabriquer tel ou tel produit. C'est une innovation primordiale, car si la réglementation est stricte en Europe, ce n'est pas forcément le cas dans le reste du monde. Il est donc très important de savoir d'où vient le cuir pour s'assurer non seulement de sa qualité, mais aussi des exigences respectées sur le plan environnemental. Grâce à cette innovation, la France sera le premier pays au monde à pouvoir être totalement transparent sur l'origine du cuir, et cela entraînera forcément des initiatives dans d'autres pays; ce qui est forcément une bonne chose.

Le cuir est pointé du doigt pour la grande quantité d'eau qu'induit sa fabrication. Est-ce également un point sur lequel la filière tente d'innover?

FB: Cela fait des années que la filière planche sur cette question, et elle a déjà réduit de près de 50% la quantité d'eau utilisée par les tanneries au cours des vingt dernières années, ainsi que la proportion de produits chimiques utilisés. L'objectif de nos recherches est de produire à qualité équivalente en utilisant de moins en moins de ressources. C'est bon pour la planète, mais aussi pour la rentabilité des entreprises. Tout le monde est engagé dans une lutte permanente pour améliorer les process, en utilisant de moins en moins d'énergies et de ressources. Notre filière est surtout connue pour ses traditions et ses savoir-faire, mais il faut savoir qu'elle a recours à toutes les techniques modernes de digitalisation, de marquage laser, ou d'impression 3D. Nous utilisons toutes les technologies du moment pour améliorer non seulement la fabrication, mais aussi la résistance des produits. Nous sommes totalement engagés sur le plan de l'innovation.

Le cuir de demain sera-t-il écoresponsable?

FB:
Contrairement aux idées reçues, le cuir est déjà écoresponsable. La filière cuir est un modèle d'économie circulaire, car elle traite un rebut de l'industrie agroalimentaire. Nous récupérons des peaux qui, si elles n'étaient pas transformées en cuir, seraient forcément jetées, incinérées, ou détruites. A partir de ces peaux, nous créons une nouvelle matière première; ce qui est le principe même de l'économie circulaire. Cela n'empêche pas que l'on peut, et l'on va, continuer à réduire l'impact environnemental de notre activité, mais le cuir est certainement l'activité de recyclage la plus ancienne au monde.


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