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18 avr. 2018
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Gildo Zegna ne prévoit pas d'entrée en Bourse, à l'heure où les profits rebondissent

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Paul Kaplan
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18 avr. 2018

Rares sont les marques de luxe italiennes à avoir surmonté le ralentissement qui caractérise le commerce mondial aussi bien qu’Ermenegildo Zegna, qui vient de publier des résultats positifs pour son exercice 2017, malgré une concurrence croissante sur le terrain du prêt-à-porter masculin de luxe. Ermenegildo Zegna a enregistré sur l'année un chiffre d’affaires en progression de 2,3 %, pour atteindre 1,18 milliard d’euros, et surtout un bond de 64 % de son bénéfice net, à 32,8 millions d’euros, signe que sa clientèle a bien réagi au nouveau style branché et élégant de son nouveau directeur créatif, Alessandro Sartori, qui a rejoint Zegna en juin 2016.


Gildo Zegna DR


Zegna apparaît comme l’une des marques étendards de la mode italienne, forte d'un service textile à la pointe de l’innovation, d'une usine de confection haut de gamme dans le Piémont et d'un réseau de 500 boutiques à travers le monde, dont la moitié détenues en propre. Rien d'étonnant donc à lire sur son site : « Ermenegildo Zegna est une entreprise verticalement intégrée, ce qui nous permet de superviser chaque étape de fabrication : du mouton au magasin (from sheep to shop) ».

Et pas question pour cette vénérable maison centenaire de suivre le chemin de nombreuses autres marques de luxe italiennes et de tenter une entrée en Bourse. C'est le cadet des soucis du chef de famille, Gildo Zegna, que FashionNetwork.com a rencontré pour une discussion à bâtons rompus sur des sujets aussi variés que les défis du numérique, les évolutions rapides du marché ou encore le devenir de l'entreprise familiale.

« Nous sommes une affaire 100 % privée et nous ne vendrons jamais. Pourquoi vendre ? Pas question ! Nous sommes attachés à nos racines, c'est notre passion. Aucune raison de faire autrement », insiste Gildo Zegna, attablé devant un café à son bureau dans le sud de Milan, vêtu d'une veste en flanelle surpiquée toute simple, d'un col roulé en cachemire-soie et de Chelsea boots. À son col, le ruban de Cavaliere del Lavoro - équivalent italien de la Légion d'Honneur - qui lui a été remis par le président italien Giorgio Napolitano en 2011.

Et d'ajouter : « Bien sûr, nous devons rester vigilants, c'est un marché difficile avec beaucoup de pression et de nombreux risques. Nos concurrents s'améliorent rapidement sur le prêt-à-porter masculin. Et les Français sont de plus en plus forts et agressifs ». Se refusant toutefois à donner les noms des marques en question - Dior Homme, Berluti ou Brioni.


Ermenegildo Zegna - Automne-hiver 2016 - Prêt-à-porter masculin - Milan - © PixelFormula


FashionNetwork : Où en est Zegna sur le terrain du numérique ?

Gildo Zegna : On entend souvent parler de la révolution du numérique, mais à mon avis, le changement le plus brutal concerne la compétition. Il y a quelques années, nos concurrents étaient des spécialistes de l'habillement. Ce n'est plus le cas. Aujourd'hui, les clients veulent un service, une expérience et un produit différents - plus d'émotion, plus d'enthousiasme. Des vêtements faciles à porter et pratiques pour voyager.

FNW : La moitié du chiffre d'affaires de Zegna provient du département tailleur et sur-mesure. Il y a cinq ans, cette part atteignait 70 %. Ce changement est également remarquable en Chine,  pays que vous qualifiez il y a une décennie de « projet de notre génération ». Qu'en est-il aujourd'hui ? 

GZ : La Chine est le premier marché mondial. Après deux années de réorganisation en 2015 et 2016, nous avons très bien réagi à ses spécificités. Les clients chinois sont très malins. Ils voyagent. Ils aiment l'innovation. La Chine sert donc de plus en plus de banc d'essai pour nos idées, nos projets et nos matériaux. Nous y avons environ 80 magasins, contre 90 avant consolidation.

En Chine, il faudrait presque inventer des magasins sur roulettes, car les centres-villes se déplacent continuellement. Alors qu'à Milan un magasin installé via Montenapoleone pourra y rester sur trois générations, là-bas il devra déménager plusieurs fois au cours d'une décennie. Les Français sont les meilleurs pour trouver de nouveaux emplacements. Un quartier ultra-convoité peut décliner rapidement, d'une année sur l'autre. Alors il faut l'anticiper - ce que font les Français. En Chine, plus que dans n'importe quel autre pays, il s'agit de trouver le bon emplacement. Dans quel centre commercial ? Avec quels voisins ? Les contrats de location chinois durent cinq ans en général et après vous pouvez partir. Ce n'est pas comme aux États-Unis, où les centres commerciaux insistent pour que vous restiez dix ans, quitte à en mourir ! 

À Paris, notre marque est vendue au Printemps, au Bon Marché et aux Galeries Lafayette. On a des magasins sur l'avenue George V et sur le faubourg Saint-Honoré. Malheureusement, ce dernier est situé quasiment en face du palais de l'Élysée, ce qui a un impact sur sa fréquentation. On s'en sort correctement, mais ce n'est pas incroyable.


Alessandro Sartori - Photo: Luca De Santis


FNW : Que pensez-vous du phénomène « See now, buy now » ?

GZ : Je n'y crois pas, nous ne jouons pas ce jeu-là. Notre chaîne d'approvisionnement est déjà assez souple et nous permet de distribuer nos produits très rapidement. Nous avons déjà huit lancements par an et nous envisageons de passer à dix, avec des pré-collections et des collections capsule.

FNW : Alessandro Sartori a développé le Techmerino, une veste blazer lavable en machine. Vous avez également lancé la ligne Oasi Zegna, constituée de tissus haut de gamme teints avec des produits naturels - feuilles, herbes et racines. Quelle est l'importance de l'innovation textile pour votre marque ?

GZ : Une douzaine de personnes travaillent au développement des nouvelles matières chez Zegna. Oasi est un projet que nous avions depuis une dizaine d'années, mais il n'était pas assez mûr. Quand nous avons fini par le montrer, le succès a été phénoménal ! La ligne ne se vend pas spécialement bien, mais elle envoie un message fort. Elle est entièrement fabriquée en interne et toutes les couleurs utilisées sont réalisées à partir de produits de notre région d'origine, ce qui la rend unique. Ce rendu serait impossible à obtenir avec des teintures chimiques.

FNW : Et du point de vue du développement durable ?

GZ : Oasi est un bon exemple. La plupart de nos textiles sont naturels et produits dans nos propres usines. L'énergie que nous utilisons provient de nos deux centrales hydroélectriques. Nous avons fait l'erreur de ne pas communiquer là-dessus avant. Nous sommes « développement durable » depuis des décennies !


La campagne « Defining Moments » avec Javier Bardem et Dev Patel DR - Ermenegildo Zegna


FNW : En 1918, le fondateur, Ermenegildo Zegna, rêvait de créer les plus beaux textiles du marché ; il s'est lancé avec seulement quatre métiers à tisser. Votre fils, Edoardo, a rejoint l'entreprise en 2015. Zegna impose-t-elle des règles strictes, comme les descendants de Salvatore Ferragamo, qui limitent rigoureusement l'entrée dans l'entreprise à un seul membre de chaque branche de la famille ?

GZ : C'est leur choix. Nous avons des règles strictes concernant la gouvernance de l'entreprise. Les membres de la famille doivent avoir obtenu des diplômes universitaires et parler plusieurs langues pour intégrer la société, avoir les compétences requises pour leur futur emploi et avoir travaillé à l'extérieur pendant cinq ans, à des postes sérieux, afin de rejoindre Zegna avec une certaine expérience. Et pas de « bullshit job » du type stage en relations publiques à New York !

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