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Gregory Boutté (Kering) : "L'e-commerce n’est qu’un outil parmi tous les outils digitaux"

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16 nov. 2018

Est-il le nouvel homme fort de Kering ? Il est en tout cas celui par qui la transformation numérique doit arriver. Nommé il y a 11 mois à la tête du digital et de la relation client, Grégory Boutté en a dit un peu plus sur sa feuille de route le 9 novembre dernier, à l’occasion des conférences du Vogue Fashion Festival à Paris. L'ancien dirigeant d'eBay France, désormais membre du comité exécutif de Kering, a dessiné le portrait de ce nouveau département, ce qu'il peut apporter aux marques du groupe et les innovations définies comme prioritaires. Un périmètre bien plus large que l'e-commerce, qui, au cours des six premiers mois de 2018, a représenté 6 % des 6,43 milliards d’euros du chiffre d'affaires réalisés par Kering.


Grégory Boutté, lors du dernier Vogue Fashion Festival le 9 novembre 2018 - photo : Vogue/Virgile Guinard

 
Interrogé sur la réticence initiale du monde du luxe au e-commerce, Grégory Boutté a plutôt nuancé cette idée : « Ce que j’ai constaté quand j’ai rejoint Kering fin 2017, c’est plutôt une grande ouverture de nos maisons en réalité. Gucci avait ouvert un e-shop en 2001 par exemple ! Aujourd’hui, tous nos sites proposent une expérience omnicanale avancée, donc, à mon arrivée, c’est plutôt cette ouverture sur le sujet qui m’a agréablement surpris ». « Maintenant, il est vrai que dans le luxe en général, l’intérêt pour le digital s’est manifesté plus lentement, du fait du type de produit », a-t-il néanmoins concédé.
 
« L’objectif qui est le mien, c’est de passer un cap dans l’expérience client. Au troisième trimestre, les ventes en ligne ont explosé de 80 % (par rapport à la même période l’an dernier, ndlr). Mais ce qui me satisfait, c’est que dans le même temps surtout, nous avons pris huit points en mesure de la qualité de l’expérience d’achat en ligne, ce qui est une très forte progression », s'est-il félicité, moins d'un an après son arrivée.

En créant cette nouvelle direction digitale, en parallèle d'un département technique existant (Kering Technologies), le groupe a placé un nouvel échelon au-dessus de ses marques. Comment ce service se positionne-t-il par rapport à elles ? « Les marques gèrent totalement la partie communication digitale. Et on essaye de concilier ça avec ce que nous apportons pour notre parie, la partie business digital. Nous développons la stratégie sur ce sujet à échelle du groupe, mais avec les marques. Notre rôle est notamment d’agréger les meilleures pratiques dans le groupe et au-delà », a-t-il expliqué. Acteur de la stratégie digitale de toutes les marques donc, Grégory Boutté précise : « Nous essayons de respecter l’autonomie des marques et leur univers créatif. Nous devons même aider à le renforcer. Et nous nous adaptons évidemment au degré de maturité digitale de chacune. »

Recrutements de data scientists

Mais quels sont les avantages de cette nouvelle organisation ? « Nous faisons le pari de centraliser une partie de l’équation au niveau groupe. Cela nous permet d’avoir une expertise plus poussée. Par exemple, pour faire venir et ensuite retenir des data scientists, il faut être capable de leur proposer beaucoup de sujets différents, une multitude de projets. A échelle du groupe, nous pouvons recruter les meilleurs du marché, ce qui serait difficile pour chaque marque. »

« Surtout, ce que nous faisons au digital Kering, à notre échelle, c’est que nous créons des centres d’expertise au niveau groupe pour des métiers qui n’existent pas dans les maisons, ajoute Grégory Boutté. Nous sommes donc, par exemple, en train de monter une équipe de data scientists, avec pour ambition de pouvoir fournir des outils prédictifs pour les marques. »
 
Nouvelles équipes constituées de toutes pièces, travail de prospection, profils très recherchés : Kering investirait-il beaucoup par rapport à la taille du e-commerce dans son modèle, 6 % du chiffre d'affaires ? « 6 %, ce n’est qu’un début. Au regard des projections (l'e-commerce pourrait peser pour 25 % des ventes de luxe, selon Bain & Co, à horizon 2025, ndlr), les investissements que nous faisons se justifient », estime Grégory Boutté.

« Un autre chiffre est important : 70 % des achats sont influencés par le Web. Donc, ce que l’on y fait a un impact en boutique aussi, ajoute-t-il. Les investissements sur les outils digitaux contribuent à l’amélioration globale de l’expérience client. L'e-commerce, en fin de compte, ce n’est qu’un outil parmi tous les outils digitaux. Il y en a plein d’autres : comme la possibilité de prendre rendez-vous en boutique via le Web, pour un retour ou une retouche par exemple, en plus du retrait en magasin plus classique. »
 
Equiper les vendeurs en boutique

Sur quelles applications concrètes le département a-t-il travaillé ? « Nous travaillons à tous les moyens pour que la tech aide nos process internes et nos prises de décision, pour le service client notamment. Nous avons par exemple commencé à équiper les vendeurs de nos plus grosses marques d’iPhone avec une application spéciale depuis un an pour améliorer la cérémonie de vente. Ils peuvent ainsi directement vérifier la disponibilité des stocks sans laisser le client seul, voir s’il est possible de se faire livrer par une autre boutique… Et l’application comprend aussi des recommandations faites par les équipes de style des maisons pour aider les vendeurs à suggérer des produits assortis. »

« Nous mettons également en place des outils de mesure de la satisfaction client. C’est inspiré des précédentes start-up pour lesquelles j’ai fait ça, témoigne Grégory Boutté. On améliore également l’expérience par la capacité des vendeurs en boutiques à répondre au téléphone. A répondre tout court déjà, avec aujourd’hui quasi tous les appels qui sont pris, mais surtout à répondre aux questions. Les gens ne sachant pas qui appeler pour un renseignement appellent souvent une boutique. Aujourd’hui, les vendeurs en boutiques peuvent donner des informations sur une commande passée en ligne. Nous l’avons déjà déployé en Europe et nous le déploierons bientôt aux Etats-Unis. »

Mais le travail du nouveau département ne porte pas que sur le développement d'outils concrets. Grégory Boutté pilote également un travail prospectif. Sans trop en dire, il a dévoilé quelques-unes des pistes que le groupe suit actuellement. « Il y a par exemple une recherche autour des matériaux exceptionnels qui sont ceux du luxe, comment les retranscrire… On réfléchit également aux nouveaux business models, comme le prêt, l’occasion, on cherche des applications au monde du luxe. Et troisième axe de travail, on étudie toutes les nouvelles technologies : le vocal, la blockchain. Nous devons nous assurer d’être prêts pour les virages à prendre ». A l'occasion de la présentation des résultats du groupe en mars dernier, François-Henri Pinault avait en effet révélé l'existence de ce programme interne d'étude des « stratégies de rupture », confié à Grégory Boutté, et cité la question de l'abonnement comme une des pistes à l'étude.
 
Un rôle très large donc pour un nouvel arrivant. Mais peut-on tout bousculer en tant que novice du luxe dans un groupe de cette dimension ? « Attention, je me présente avec humilité. Le groupe Kering marche très bien sans que je vienne remettre en cause la façon de travailler ! J’impulse des choses nouvelles via les projets qui sont les nôtres à échelle du département digital, de nouvelles méthodes de travail, du développement agile par exemple, je fais entrer des profils nouveaux pour Kering et j’espère que par capillarité, cela aura un impact positif sur l’ensemble du groupe », espère le dirigeant.
 
Enfin, interrogé sur les profils qu'il recrute pour constituer ses équipes, Grégory Boutté a évoqué la manière dont il les recrute : « Pour attirer des profils tech, il faut leur dire qu’on est au début d’une aventure. Ces gens veulent avoir un gros impact. Nos recrutements actuellement sont concentrés sur plusieurs fonctions qu’on met en œuvre et très concentrés sur la partie data notamment. On recrute également des profils CRM pour travailler sur une expérience client plus personnalisée. Tout cela, nous le travaillons avec Kering Technologies, les ingénieurs qui mettent en musique tout cela. Tous ces gens ne viennent pas du monde du luxe et cela fait des étincelles. Cela nous permet de trouver des solutions créatives. »

Mais surprise : face à l'idée reçue d'une disciple très masculine, Gregory Boutté s'inscrit en faux. « Il y a chez nous plus de femmes que d’hommes en réalité. Une spécialiste de la blockchain, qui ne vient absolument pas de l’univers du luxe, vient par exemple d’arriver ». La blockchain, la data, la personnalisation, le prêt, l'abonnement... En effet, l'e-commerce n'est bien qu'un sujet parmi d'autres dans la mission de Grégory Boutté, mais celui qui offre les plus belles perspectives immédiates de chiffre d'affaires.

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