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Clémentine Martin
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12 avr. 2023
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Hou Juncheng rêve de concurrencer L’Oréal avec le groupe chinois Proya

Traduit par
Clémentine Martin
Publié le
12 avr. 2023

Hou Jungcheng a un rêve pour le moins ambitieux: posséder la plus grande entreprise de cosmétiques de Chine. Pour le réaliser, pas un instant à perdre.
 

Hou Juncheng - DR


Hou Jungcheng est à la fois le fondateur et l’actionnaire principal de Proya, un groupe cosmétique chinois dynamique qui propose des produits de soin du visage, de maquillage et de beauté. Le conglomérat gère sa propre marque, mais aussi des marques chinoises locales comme Timage, et même des griffes européennes comme Zwyer Caviar et Artemis en Chine.
 
Ses armes de prédilection: le e-commerce, le live streaming et le marketing d’influence sur les réseaux sociaux. L’activité de Proya se déroule principalement en Chine et les chiffres sont impressionnants. Tellement impressionnants, d’ailleurs, que Hou a rejoint la liste 2020 des milliardaires chinois de Forbes avec une fortune alors évaluée à 1,2 milliard de dollars.

La pandémie n'a pas pesé négativement sur l’activité de Proya. En 2021, les ventes annuelles du groupe représentaient 4,6 milliards de yuans, soit environ 650 millions d’euros, dont 80% venaient du digital. Hors de question de se reposer sur ses lauriers: Hou a fixé à Proya un objectif de chiffre d’affaires annuel de 10 millions de yuans ou 1,45 milliard d’euros pour 2024.
 
M. Hou, comme tout le monde semble l’appeler, était récemment à Paris. À l’occasion de sa première visite en Europe depuis trois ans, il a accordé un entretien autour d’un dîner à FashionNetwork.com.

“Pourquoi Paris? Parce que Paris est la capitale de la France et de la mode, culturellement et économiquement. Dans la mesure où nous travaillons dans la cosmétique, nous devons absolument venir ici, apprendre des entreprises françaises et travailler avec elles. En plus, j’adore la France et les Français“, s’exclame M. Hou, enthousiaste.
 
Il a fondé Proya en 2006 après avoir travaillé dans la distribution de cosmétiques dans les années 1990. En novembre 2017, le groupe a rejoint la bourse de Shanghai.
 
“Des études montrent que les consommateurs chinois dépensent en moyenne 40 dollars par an et par personne en cosmétique. C’est environ sept fois moins que ce que dépensent les gens aux États-Unis. Mais je suis convaincu que d’ici 10 à 20 ans, notre consommation ne sera plus très inférieure à celle de l’Occident. Et rappelez-vous qu’il y a 20 fois plus d’habitants en Chine qu’en France, donc la Chine a tout le potentiel pour devenir un marché vraiment énorme“, se réjouit-il.
 
“Nous pensons que beaucoup de consommateurs chinois ne sont pas pris en compte dans cette étude. Les achats illégaux, le marché noir et les achats par Internet ne sont pas toujours bien comptabilisés. J’estime que notre consommation moyenne de cosmétiques par personne et par an se situe plutôt autour de 60 euros. Et il y a aussi 150 millions de consommateurs chinois disséminés dans le monde entier, et ils achètent des cosmétiques à tout va!“, insiste-t-il.


Le siège social de Proya - DR


Le potentiel de croissance sur le territoire national de Proya est bien réel. D’après des études réalisées par des spécialistes du secteur, le marché des cosmétiques en Chine va progresser de 11% en 2023 et pourrait peser 85 milliards de dollars. De plus, les cosmétiques pigmentés ne représentent pour l’instant que 12% des ventes totales en Chine, laissant présager une belle marge d’évolution.

Un portfolio de 10 marques


 
Pour le moment, les principales clientes de Proya sont les 18-24 ans. Le groupe possède dix marques très populaires en Chine, dont Uzero, qui se vante de revitaliser la peau à l’aide de l’énergie des plantes, comme le thé vert. Timage, une autre marque du groupe reconnaissable à son identité visuelle vert jade, puise dans l’iconographie chinoise du calme et de l’esprit libre.
 
En Chine, Proya se charge de la distribution de Zwyer Caviar, un label suisse fondé en 2009 qui a commencé en vendant du caviar en ligne. Aujourd’hui, la griffe propose des crèmes pour le visage et des sérums satinés vendus à des prix, disons, exclusifs: 290 euros pour une crème de 50 ml et 340 euros pour un sérum de 30 ml. Artemis, un autre label suisse utilisant les propriétés des plantes combinées avec des technologies de pointe, fait également confiance à Proya. Ses produits se situent à des tarifs plus accessibles. Enfin, le groupe a une coentreprise avec la ligne de soin du visage espagnole Singuladerm.
 
“Nous avons monté une entreprise en Corée du Sud en 2008. À l’époque, les consommateurs chinois raffolaient des cosmétiques coréens. Nous avons créé une entreprise très innovante là-bas, mais toutes nos ventes se faisaient en Chine“, se remémore Hou, qui aime se rappeler ses succès entrepreneuriaux et philosopher à propos de la vie.
 
Pourquoi cette fascination des Chinois pour la beauté japonaise, lui demandons-nous? “La recherche de perfection des Japonais suscite notre plus profonde admiration, répond-il. Nous apprenons beaucoup d’eux, et nous pouvons les aimer, même si le souvenir de la guerre est toujours présent. Parfois, leurs Premiers Ministres sont aimables, mais d’autres ont des attitudes vraiment anti-chinoises“, regrette Hou.
 
“En Chine, nous avons de bonnes voitures. Mais les consommateurs veulent une Hyundai, une Mercedes ou une Ferrari. Nous avons ouvert notre marché relativement tard, et nous aimons toujours autant acheter des produits étrangers et des concepts révolutionnaires. 50% du marché de la cosmétique est encore occupé par des marques étrangères. Mais il y a 20 ans en arrière, les marques étrangères avaient 90% du marché“, rappelle Hou entre deux coups de fourchette. Fidèles à la tradition chinoise, les sept convives de notre table partagent les entrées et les plats: artichauts, foie gras, sole et entrecôte.

Parcours d'autodidacte


 
Hou est né en 1964, presque une génération avant que Deng Xiaoping ne commence à réformer l’économie chinoise et à ouvrir le marché aux investissements étrangers en 1978.
 
“J’ai perdu mon père en 1982, à l’âge de 17 ans. J’ai commencé à travailler tôt pour pouvoir nourrir ma famille“, raconte Hou, cadet de cinq enfants. “À l’époque, la politique de l’enfant unique n’était pas en vigueur.“

Comme son père, simple ouvrier d’usine, Hou a débuté au bas de l’échelle, réparant des tracteurs et des vélos. Il a ensuite commencé à travailler dans la vente et a monté sa première entreprise avec sa famille en 1992.


Produits de Proya - DR


“Je me suis rendu compte que c’était ainsi que j’allais changer mon destin. Je devais créer ma propre marque, et c’est ce que j’ai fait en 2003 avec Proya“, salue Hou. En chinois, Proya signifie “élégance“; une importante qualité pour une marque de beauté et un mot facile à retenir.
 
“J’étais plutôt doué en vente et en gestion. Il y a un dicton chinois qui dit: ‘Une seule fleur ne fait pas le printemps, mais 100 fleurs écloses invitent le printemps dans le jardin.‘ Vous savez pourquoi les professeurs ou les analystes ne savent pas gérer les entreprises? Parce qu’ils sont trop concentrés sur leur propre secteur et trop occupés à faire des calculs. Ils n’ont pas le temps d’administrer une société“, affirme-t-il.
 
M. Hou est un entrepreneur à succès et n’hésite pas à le montrer: il porte des costumes Dior et des chaussures Berluti. Quand il part en vacances, c’est sur l’île branchée de Sanya, une enclave tropicale au large du sud de la Chine où il possède une résidence en bord de mer et un yacht de 36 mètres nommé “Horizon“.
 
Une trajectoire fulgurante qui ne semble pas près de s’interrompre: la capitalisation boursière de Proya se situe actuellement juste en-dessous de 7 milliards de dollars, et M. Hou possède 35% des parts du groupe.
 
Pendant la pandémie, Proya a fait don de 200.000 masques aux pays européens. Un geste salué par Marc-Antoine Jamet, le maire de Val-de-Reuil, une commune située au cœur de la “Cosmetics Valley“ française. Il a remis une médaille d’honneur à l’entrepreneur chinois lors d’une cérémonie (sur Zoom, évidemment).
 
“Je pense que c’est un devoir envers l’humanité d’aider les gens dans le besoin. Sinon, quel est le sens de la vie?“, s’interroge-t-il.
 
Le dirigeant ne souhaite pas dévoiler en détails son prochain objectif, une phase de développement international pour Proya. Faire concurrence à d’autres géants comme L’Oréal et Estée Lauder ne s’annonce pas facile. Et étonnamment, le budget R&D de Proya n’est pas énorme par rapport à celui des mastodontes français du secteur. D’après le profil officiel de l’entreprise, 74,6 millions de yuans (environ 10 millions d’euros) y sont alloués, soit environ 2,5% du chiffre d’affaires.
 
D’après Hou, l’industrie cosmétique chinoise a déjà bien évolué. D’abord centrée sur la production, elle se concentrait dans la région de Guangzhou. Dix ans plus tard, c’est la distribution et Shanghai qui ont pris le devant de la scène. Mais aujourd’hui, le secteur de la cosmétique en Chine est centré sur l'e-commerce, le live streaming et le marketing d’influence sur les réseaux sociaux. La ville de Hangzhou, où Proya a son siège, est devenue la nouvelle capitale de l’industrie cosmétique.
 
S’inspirant une fois de plus de l’exemple français, l’autre grand projet de Hou consiste à s’allier avec le gouvernement provincial de Wuxing à Huzhou pour promouvoir la construction d’une Ville de la Beauté en Chine. L’objectif à long terme: avoir un équivalent de Grasse dans le pays asiatique. Et au vu de ce que Hou a déjà accompli, il ne serait pas surprenant qu’il y arrive.

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