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15 oct. 2018
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Industrie de la mode : l'inquiétude de la filière exprimée au Sénat

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15 oct. 2018

Le Sénat accueillait ce 15 octobre le colloque « Industrie de la mode et métiers d'art : savoir-faire, formation, innovation et compétitivité - Un pilier de l'économie française ». L'occasion pour les différentes composantes de la filière d'exposer aux parlementaires présents les challenges et outils de la filière. Mais aussi d'appeler le pouvoir législatif à se montrer plus cohérent que l'exécutif dans son soutien au secteur.


Le colloque réunissait parlementaires et représentants de la filière - MG/FNW


« Le Premier ministre a dit récemment aux industriels : "Vous avez les clefs du camion". Chers parlementaires, si vous voulez nous voir avancer, dites à Bercy de ne pas nous rationner le carburant ». En quelques mots, Frank Boelhy, dirigeant du Conseil National du Cuir (CNC) et du Centre Technique du Cuir (CTC), aura résumé le sujet brûlant qu'une bonne partie des 250 professionnels présents avaient en tête en entrant au Palais du Luxembourg. 

Quel sujet ? Hasard du calendrier, la rencontre intervient après l'annonce, via le Projet de Loi de Finance (PLF), d'un plafonnement du budget des CPDE (Comité professionnel de développement économique) de la filière : le Défi, le CTC, Codifab et Franceclat. L'Etat souhaite en effet prélever davantage sur les taxes affectées, librement mises en place par la filière pour accompagner son développement. Au final, au Sénat, quel que soit le sujet abordé, des savoir-faire à l'innovation, en passant par les financements et l'internationalisation, c'est bien sur le sort de ces taxes affectées que revenaient toujours les discussions.

Pour l'industriel Lucien Deveaux, président du Défi, c'est bien la complémentarité de la filière qui pourrait être mise à mal. « Il est indispensable de garder le Défi et les autres organismes, a ainsi lancé le responsable aux parlementaires. Nous aidons les jeunes créateurs qui sont indispensables aux grandes groupes, car il faut un renouvellement permanent de la créativité. Nous aidons les entreprises à aller à l'international, ce que des PME ne pourraient faire par elles-mêmes. C'est là ou le Défi aide. Là ou un organisme d'Etat ne pourrait pas le faire. »

Une « affaire ridicule »

Ce que confirme crûment Pierre-François Le Louet, président de la Fédération française du prêt à porter féminin. « On nous dit "Passez par Business France" et nous le voudrions bien. Sauf que c'est Business France qui vient nous voir pour que nous organisions des opérations à l'international avec le soutien financier du Défi derrière. On nous dit que les grandes marques doivent payer pour les petites. Or, elles font déjà beaucoup ». Et le dirigeant de s'interroger sur la sincérité de la « baisse des prélèvements obligatoires » qui motiverait Bercy. « Cette affaire ridicule des taxes affectées, pour les entreprises, c'est 63 centimes de baisse pour un million d'euros de prélèvement obligatoire. A ce rythme-là, l'économie n'est pas efficace, là où l'action du Défi, elle, l'est. »

Sur ce terrain, le président de l'Union des industries textile (UIT), Yves Dubief, a une idée de quelle imposition pourrait plus efficacement soulager les entreprises. « Les quatre taxes affectées du secteur, ce sont quelques dizaines de millions d'euros, contre 80 milliards sur les impôts liés à la production. Dans l'UE, ceux-ci pèsent en moyenne 1,6 point du PIB, avec 0,6 point en Allemagne et 3,2 points en France. Et les taux sont galopants, là où ils sont maîtrisés pour la taxe affectée. Nous, industriels, nous souhaiterions que notre participation au budget des territoires locaux soit directement liée avec son résultat fiscal. »

« Si nous avions pleinement accès aux fonds des taxes collectées, nous pourrions continuer à former les gens », indique pour sa part Arnaud Haefelin, président de la Fédération de la maroquinerie (FFM). « La maroquinerie à elle seule se compose de neuf savoir-faire d'art. Mesdames et messieurs les élus, faites-nous des amendements au projet de loi de finance qui nous permettront de ne pas abaisser ce plafond, voire de déplafonner, afin de laisser notre filière profiter de cette manne qui ne coûte rien au contribuable », lâche finalement l'industriel. « Ils sont prêts », répond dans la salle Catherine Dumas, sénatrice de Paris, présidente du groupe d'étude métiers d'art et maître d'oeuvre de cette rencontre.

OPCA et formations

La réforme des OPCA (Organisme Paritaire Collecteur Agréé) et les inquiétudes qu'elle génère auprès de la filière textile ont sans surprise également été évoquées. « Passer de 20 à quelque 11 OPCA, c'est une vraie inquiétude pour notre secteur, car nous travaillons notamment avec Opcalia (Opca de l'habillement, ndlr), dont nous ne savons pas à l'heure actuelle ce qu'elle deviendra, explique Marc Pradal, président de l'Union française des industries de la mode (UFIHM). Et derrière cela, il y a la crainte de voir une fusion des branches industrielles, qui pourrait être quelque chose de dangereux, sachant que notre filière a des savoir-faire très spécifiques. »

Ce que confirme, sans même rentrer dans le débat, Stéphanie Bertrand, cheffe de projet EDEC Numérique Textiles Mode Cuirs au sein d'Opcalia. « Porté par la branche et par l'Etat, c'est un outil très important pour poursuive la transition numérique et l’accompagnement de la modernisation des PME ». Un point sur lequel le directeur marketing du rubanier Satab, Frank Ferrua, enfonce le clou : « La formation, les entreprises en dépendent pour leur survie. Et il y a de nombreux emplois à la clef ».

« Un métier d'art qui n'évolue pas est un métier qui meurt, analyse de son côté Lyne Cohen-Solal, présidente de l'Institut national des métiers d'art (INMA). Et il n'est pas possible d'avoir un discours disant "Nous allons soutenir tel ou tel métier de la filière, car c'est le plus efficace". Cela ne fonctionnera pas. Dans une filière ou chaque étape entraîne les autres, c'est la filière elle-même qu'il faut soutenir. Pour l'heure, un artisan d'art, personne ne lui prête 20 000 euros pour qu'il se développe. Il serait souhaitable d'avoir des pouvoirs publics persuadés de l'importance de la filière. Pour l'heure, c'est encore associé à un côté féminin ou pas sérieux. »

Pascal Morand, président de la Fédération de la couture et de la mode (FHCM), estime de son côté que « la France est restée en décalage » sur le plan de la formation et évoque notamment les politiques britanniques liées à la création mises en place il y a deux décennies : « Il faut un écosystème pour que cela fonctionne. Le véritable enjeu est de parvenir à créer des synergies. Car notre défi est de concilier la préservation de nos savoir-faire et l'impératif d'évolution de nos méthodes de création et de production. Nous avons donc besoin, messieurs les parlementaires, de votre soutien à tous les niveaux. »

Directeur général du groupe Hermès et président du comité stratégique de la filière des industries mode et luxe, Guillaume de Seynes a lui-même souligné auprès des sénateurs le poids de la filière. « Si l'on prend juste les six semaines de Fashion Week, on voit que cela génère 1,2 milliard d'euros, pointe-t-il. Les créateurs de tous les pays viennent se faire "couronner" à Paris. C'est un secteur où la France a un leadership absolu. Nous sommes leader, mais il faut tout faire pour maintenir ce leadership ». Le dirigeant indique au passage que le comité devrait formuler plusieurs propositions et annonces d'ici à la fin de l'année.

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