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21 juil. 2022
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Jacques Royer (groupe Royer): "Kickers est la clé de notre développement"

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21 juil. 2022

Entre confinements et problématiques d'acheminement des collections, les acteurs français de la chaussure ont vu leur chiffre d'affaires fondre de près d'un quart entre 2019 et 2020. Malgré un léger rebond en 2021, la Fédération française de la chaussure estimait ainsi le chiffre d'affaires du secteur de la distribution chaussure à 8,1 milliards d'euros l'an passé. Les acteurs se sont trouvés confrontés à des délais de production et de livraison, des hausses de coûts et ont été en toute logique déstabilisés ces deux dernières années. C'est le cas du groupe Royer: l'une des références françaises de la chaussure, basé à Fougères, à proximité de Rennes. Avec Eram, c'est l'un des derniers groupes familiaux français d'envergure du secteur. En 2019, le groupe Royer revendiquait 500 salariés dans l'Hexagone, un chiffre d’affaires de 300 millions d'euros, dont 45% réalisés à l'export, pour plus de 20 millions de paires vendues. A titre indicatif, la production française de chaussures était l'an passé d'environ 15 millions de paires, selon la FFC.


Jacques Royer a restructuré son groupe autour du développement de Kickers - FNW


Mais pour le groupe breton, les dernières années ont été particulièrement complexes. La société, qui compte une trentaine de marques en portefeuille entre ses labels propres et ses licences, a dû faire face à une transformation des modes de consommation. Se sont ajoutés la fin de sa licence phare avec la marque américaine New Balance, (qui selon plusieurs sources pesait environ 150 millions d'euros de ventes dans l'activité de Royer), les contrecoups de la pandémie du Covid-19 et la crise sur la production et la logistique qui s'ensuivit. Un challenge de grande envergure pour l'entreprise fondée en 1945 et toujours dirigée par Jacques Royer.

"Nous n'avons pas attendu la crise pour réfléchir. J'avais en tête d'assurer la transformation d'entreprise et la transition avec mes équipes", précise le dirigeant qui reçoit FashionNetwork.com dans son spacieux bureau avec vue sur l'architectural bâtiment de la Seine Musicale, situé dans les locaux franciliens de son groupe à Sèvres, où ses équipes créatives et ses showrooms occupent quatre niveaux d'un immeuble en bord de Seine. "Le 30 novembre 2019, on a décidé de mettre en place une nouvelle stratégie et une nouvelle gouvernance d'entreprise. Avant, j'avais 14 personnes qui me rendaient des comptes, nous sommes passés à 5 au comité stratégique".

Dans cette nouvelle organisation, Mickael Royer, le fils ainé du président, occupe un rôle de vice-président, alors que sa fille psychologue et son second fils, encore étudiant à l'école de commerce Essec, ne sont pas dans l'entreprise. Mickael Royer est en charge des développements digitaux de la société, de la DSI et de tout l'e-commerce. Il supervise aussi les équipes du groupe à Hong Kong, qui opère pour ses activités de production et logistique en Asie, mais aussi les marques du Studio du groupe (Piola, Pare Gabia, Charles Jourdan ...) et Von Dutch.

Le Comex compte aussi le directeur général de Royer SA, Didier Hamm, Laëtita Lemonnier, la directrice juridique et financière, ainsi que Anne Héry, la directrice des ressources humaines et de la communication interne. "De mon côté, je garde un regard sur les licences. C'est un sujet sur lequel je travaille toujours avec notre directrice des licences Véronique Chalandar, comme actuellement pour développer Kickers sur de nouveaux marchés comme l'Inde, précise le dirigeant. Aujourd'hui, je peux m'appuyer sur cette équipe de quarantenaires et cinquantenaires qui ont l'expertise du secteur".

Une année 2020 particulièrement complexe



Une garde rapprochée qui avait défini un plan stratégique fin 2019 pour anticiper notamment la fin de la licence avec New Balance prévue fin 2020, gérer l'erreur de casting dans la reprise de Chevignon début 2019, dont le groupe est rapidement sorti, et qui a dû faire preuve de capacité d'adaptation pour faire face à la crise liée à la pandémie de Covid-19. "Nous avions notre stratégie en place et nous discutions avec New Balance pour travailler la transition, se rappelle Jacques Royer. Mais dès janvier 2020, mes équipes en Asie nous ont alertés. Les Chinois cachaient des choses mais il devenait clair qu'il y avait un problème. Puis en mars... tout s'arrête. Je sais alors qu'on va perdre le contrat New Balance en fin d'année, mes clients sont fermés et mes usines aussi. On s'est dit que nous allions avoir quelques problèmes financiers que nous n'avions pas prévus. Nous avons perdu de l'argent".

L'année 2020 s'avère particulièrement complexe et le groupe met en place un plan de sauvegarde de l'emploi. Initialement ce sont plus de 200 emplois sur les quelque 500 que comptent les cinq sites français du groupe qui étaient concernés. Finalement au printemps 2021, la facture sociale, légèrement moins lourde, se monte à 150 suppressions de postes dans différents métiers. Un plan qui ne s'est pas déployé sans quelques frictions avec le CSE du groupe, notamment sur le périmètre des postes supprimés, mais qui a, selon le dirigeant, permis de franchir une période très complexe.

"La famille contrôle 100% de l'entreprise, nous n'avons cédé aucun actif et nous avons une solution pérenne"



En parallèle, l'équipe de Jacques Royer travaillait sur l'aspect financier. Et le dirigeant ne manque pas de tancer les journalistes sur les scénarios d'entrées de capitaux étrangers dans le groupe familial qui avaient émerger dans ces temps d'incertitude. " Il y a eu plein de rumeurs variées. Mais je peux assurer que je n'ai jamais rencontré d'investisseurs chinois comme cela a été dit. J'ai eu des options différentes. Il y aurait pu avoir un investisseur, bien sûr. On m'a amené plusieurs propositions sur la table. En réalité nous avons engagé des négociations avec les banques et avec nos créanciers. Et nous avons travaillé pendant deux ans sur l'élaboration d'une solution. Au final, nous avons réalisé l'option que je souhaitais et tout est stabilisé. Cela a abouti à un protocole fin 2021 avec une finalisation en mars 2022. A présent, la famille contrôle 100% de l'entreprise, nous n'avons cédé aucun actif et nous avons une solution pérenne".


Modèle Piola - Piola



Cette solution, qui doit permettre au groupe de financer ses besoins généraux, se compose d'un prêt garanti par l’Etat (PGE) d’un montant de 19 millions d’euros, d’une augmentation de capital de 8 millions d’euros, et d'émissions obligataires souscrites par des investisseurs privés pour un montant de 8 millions d’euros. En s'appuyant sur cette structure, le groupe annonce un plan à trois ans sur trois axes:

"D'abord nous voulons être encore plus à l'international. C'est à dire que nous allons travailler nos marques propres sur le monde entier. Mais aussi déployer notre parc en licence, comme Everlast, sur toute l'Europe. L'objectif c'est d'avoir des marques EMEA (Europe Moyen-Orient Afrique, ndlr), appuie le PDG. Notre deuxième objectif est d'aller au-delà du savoir-faire que nous maîtrisons parfaitement dans la chaussure. Nous devons avoir des marques globales, en particulier avec nos marques propres. Avec Kickers, nous lançons en 2023 du textile et de l'accessoire. Mais c'est aussi une volonté avec nos marques en licence. S'il faut faire des chaussures à crampons Umbro ou des gants de boxe Everlast on le fera aussi! Nous savons le faire. J'ai eu des licences textiles avec Converse et New Balance. Et regardez Von Dutch et Everlast: ce ne sont pas des marques de chaussures.

"Le troisième point clé est le défi écologique. C'est déjà un axe pour certaines marques comme Kickers que nous orientons sur l'écoresponsabilité. Pour réussir cela, toutes nos usines doivent être dans les normes et avec des contrôles par nos propres équipes sur le terrain. Par exemple, nous avons aussi commencé à distribuer Native, une marque canadienne, en ligne avec cette approche".

L'enfant et les marques de distributeurs comme leviers de croissance



Autour de ces trois axes, le groupe veut s'appuyer sur la force du marché de la sneakers et consolider son expertise de l'enfant. Jacques Royer affirme vouloir pouvoir proposer des pieds enfants dans toutes les marques en portefeuille, en plus des spécialistes Aster, Mod8 ou Robeez. Le groupe a en revanche stoppé plusieurs licences de personnages qui étaient destinées aux acteurs du mass market et du moyen de gamme. En parallèle de la réalisation des collections pour ses marques propres et ses marques sous licences, le groupe a également une activité importante avec les principales enseignes de mode françaises en réalisant des chaussures de marque de distributeur (MDD) et développe aussi cette activité, qui pèse environ 35 millions d'euros, en Europe.


Kickers va lancer le textile et l'accessoire en 2023 -Campagne Kickers - Kickers



Un atout important pour Royer dont le chiffre d'affaires qui était de 153 millions d'euros devrait, selon son patron, atteindre les 180 millions cette année. "Au 31 mai nous avons une croissance de 20,1% par rapport à l'année dernière à périmètre comparable. Cette progression concerne toutes les marques, que ce soient nos deux marques phares Kickers et Von Dutch mais aussi la MDD. Nous pouvons nous développer dans ce domaine car nous avons le sourcing, le contrôle et le respect des normes. De plus en plus de chaines de vêtements veulent faire de la chaussure. Nous avions un résultat positif l'an passé et nous avons prévu un résultat positif cette année".

Bien sûr, le groupe est loin des niveaux de volumes d'affaires réalisés lorsqu'il avait un acteur international comme NB en portefeuille. S'il compte actuellement Umbro et Diadora, dont l'activité est plus modeste, il reste attentif aux opportunités de séduire un grand nom du sport-lifestyle. Reebok, vendue l'an dernier par Adidas au groupe américain ABG, semblait idéale pour un accord de développement européen. Mais le label au vector a opté, pour l'instant, pour une autre stratégie. "Mon fils a rencontré tous les acteurs de ce secteur. Sur ce type de marque nous pouvons faire très bien les choses, explique le président. Nous sommes chez Intersport, Decathlon, Courir, Go Sport. Nous pouvons être immédiatement bien référencés. Comme nous sommes capables de réaliser le sourcing, la production, la distribution et le marketing, notre volonté est d'avoir des accords avec d'autres marques".

Von Dutch et Kickers



Mais quel potentiel pour les marques actuellement en portefeuille? Le groupe compte développer le lifestyle d'Umbro et d'Everlast en négociant le développement sur plus de marchés et continuer de pousser le potentiel de la marque senior et confort Relife, qui vend deux millions de paires annuelles. Même si il est également en recherche d'une nouvelle boutique dans le Marais parisien pour Charles Jourdan et ouvre à Biarritz pour Pare Gabia, le groupe Royer mise surtout sur Von Dutch et Kickers.


Umbro développe sa proposition lifestyle, notamment via sa collaboration actuelle avec Ceiio - Celio



La première, avec son univers américain inspirée du tatouage et des sports mécaniques est très développée aux États-Unis et a commencé à déployer un réseau à l'enseigne en France. Son offre est aujourd'hui centrée sur les tee-shirts et les casquettes, mais sa proposition doit s'étoffer.

La seconde réalise un volume d'affaires d'environ 180 millions et va donc développer du textile et de l'accessoire. Selon Jacques Royer, "La marque est la clé de notre développement. Elle coche toutes nos cases: le lifestyle, l'écoresponsabilité, l'enfant, l'international et le multi-catégories".

En développant de nouvelles catégories, la marque entend passer d'un nom de la chaussure à une marque avec tout un lifestyle. Ses dernières campagnes de publicité mais aussi sa présence dans des évènements grand public, comme ce mois-ci au festival Lolapalooza de Paris ou aux Francofolies de La Rochelle, vont dans ce sens. Elle a ainsi vocation a élargie sa clientèle.

"On vient de la référencer chez Intersport, explique son dirigeant. On développe des licences sur certains pays et en France il y a une opportunité de développer le réseau de magasins en direct, dans les grandes villes et en faisant confiance à des partenaires wholesale via la franchise dans les autres villes. Aujourd'hui, nous avons une dizaine de magasins dont deux franchisés. Et nous allons ouvrir Toulouse en direct et Lorient avec un franchisé".

Dans cette dynamique, le groupe reprend donc des recrutements qui correspondent à son modèle en transformation. Alors que des magasiniers avaient été remerciés dans le dernier PSE, il recrute aujourd'hui des spécialistes de l'e-commerce ou des responsables export en France, et des responsables qualité au plus près des sites de production en Inde et au Portugal. Mais son président reste attentif aux signaux du marché. D'abord parce qu'au-delà des enseignes, ses clients historiques, les spécialistes chaussures ont aussi souffert ces dernières années.  

"Le spécialiste chaussure a souffert surtout en centre ville, analyse le spécialiste. Mais moi, je crois beaucoup au chausseur de ville moyenne. Son atout c'est la proximité! Des enseignes comme Lidl et Leclerc travaillent très bien car ils peuvent s'appuyer sur la proximité pour faire accepter les augmentations de prix. Nous avons envie de travailler avec les chausseurs. Mais beaucoup doivent avoir une réflexion sur leur proposition de marques. Certains peuvent proposer jusqu'à 120 marques! Concrètement, pour le client, quelle est la différence entre une MDD d'une enseigne et la marque inconnue d'un petit fabricant portugais ou espagnol? Ces produits là apportent des marges mais pas de trafic et le souci aujourd'hui c'est le trafic. Ce sont les marques reconnues qui attirent le trafic. On l'a vu en textile. Les beaux habilleurs qui fonctionnent bien ont été capables de se recentrer avec une dizaine de marques en magasin. Et l'habillement se transforme toujours avant la chaussure...".

Prudence pour l'avenir



Mais l'élément incontournable est la dynamique inflationniste en Europe, qui pourrait freiner la relance dans le secteur. "Nous avons connu de bons mois d'avril et de mai. En revanche, avec des promotions toute l'année pourquoi voulez-vous que les gens participent aux soldes, analyse le dirigeant. Nous avons des carnets de commandes qui tiennent la route mais nous sommes prudents sur le second semestre car il y a des inconnus de consommation. Nous avons deux problèmes dont même les meilleurs analystes ne peuvent connaître l'impact: l'inflation et la Russie. Le consommateur aura-t-il envie d'acheter? La fréquentation et la performance des sites internet a chuté. Pour l'instant des acteurs comme Zalando référencent toujours les marques, mais tous les sites sont très prudents et nous n'avons pas de volumes pour la saison prochaine".

Pour l'heure, le groupe veut croire à sa capacité à continuer son redressement en se concentrant sur le fait de respecter ses engagements sur les délais de livraison et la maîtrise des coûts. Et pourquoi pas parvenir à séduire la marque lifestyle qui viendrait de nouveau consolider son portefeuille.
 

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