Publié le
10 févr. 2011
Temps de lecture
5 minutes
Télécharger
Télécharger l'article
Imprimer
Taille du texte

Matières premières: "Les hausses de prix sont inéluctables"

Publié le
10 févr. 2011


Photos: AFP
Le coton a débuté l'année 2011 en dépassant, pour la première fois depuis la guerre de Sécession, les 2$ la livre. Une hausse qui entraîne une fois de plus celle des autres matières et qui, face à une spéculation croissante dans le domaine, amène les professionnels à pousser un cri d’alarme: la hausse des prix à la vente devient inévitable.

Lors d’une conférence tenue sur Première Vision, l’Union des Industries Textiles a voulu faire passer le message. Réunissant une partie des fédérations professionnelles concernées, l’organisme a fait le point sur la hausse générale des prix. Avec la crise économique, les marchés ont essuyé une baisse de 12% de la consommation. Problème: les bas prix du coton avaient poussé de nombreux exploitants à abandonner le coton pour d’autres cultures, rendant la production mondiale incapable d’encaisser une reprise de la demande textile plus forte que prévue. Et tandis que l’Inde s’est mise à protéger ses propres stocks, et que la Chine entend privilégier son marché intérieur, le coton a vite justifié son surnom d’Or Blanc.

Situation qui n’a pas manqué de s’étendre aux autres matières. Parmi les matières naturelles, la laine a vu son prix croître jusqu'à parfois 40% en un an, la soie s’offrant même une explosion de 100%, quand seul le lin reste stable. Le Conseil National du Cuir s’alarme également, avec des hausses de 40% sur le veau, de 75% sur le taureau ou encore de 100% sur l’agneau, les tanneurs se fragilisent. Quant aux matières synthétiques, elles voient également leurs prix souffrir de leur statut de matériaux de substitution, beaucoup oubliant qu'elles sont également utilisées dans d'autres domaines. Ce à quoi s'ajoute le prix du baril de pétrole, qui ne manque jamais de se rappeler au bon souvenir des professionnels.

Au final, pour les industriels, le calcul est simple: "Il est important de se persuader que les hausses de prix seront inéluctables", lance Benoît Hacot, président d’Eurocoton et de la Fédération Française des Industries Lainières et Cotonnières. "Il est impossible de penser encore que la hausse n’aura pas d’effet sur les marges, qui passent de plus en plus dans le négatif". Lucien Deveaux, président de l’UIT, annonce même cette hausse pour le printemps-été prochain, avec des hausses de 8 à 20% des prix.

La spéculation au centre des critiques

Mais un autre danger guette le secteur, car la crise du coton et ses conséquences n’ont pas été causées uniquement par la loi de la demande. "Les prix ne sont plus aux mains des professionnels du secteur", tempête ainsi Jean-Francois Gribomond, représentant d’Euratex. "La spéculation a gagné notre marché car c’est une valeur refuge, mais cela crée un véritable déséquilibre". La solution ? Limiter la spéculation à des professionnels du secteur, et non à des fonds étrangers au domaine. Une optique dans laquelle entend s’engager l’UIT. "C'est un sujet sur lequel on commence à avancer", explique sa déléguée générale Emmanuelle Butaux-Stubbs. "Dans le cadre de la présidence française du G20, nous allons demander aux autorités que le coton soit traité de manière à limiter les spéculations sur son cours".

En attendant, Yves Christophel, président de l'association française cotonnière (AFCOT) et directeur général du Cotton Distributors Inc-Lausanne, prévoit une sensible baisse des cours à partir de 2012, le haut prix du coton ayant provoqué un retour en grâce de la matière chez les exploitations. "Cependant, le prix du coton ne va pas se régulariser aussi rapidement que par le passé", averti Yves Christophel. "Et il se stabilisera certainement autour des 1 dollar la livre, contre les 60 à 80 cents de ces dernières années".

La réaction des clients redoutée par les détaillants

Mais si une hausse des prix de vente est perçue inévitable par les fournisseurs, il reste à en convaincre les marques et détaillants. "Beaucoup n’acceptent pas, ou seulement partiellement, cette hausse", confie un fabricant. "Ils entendent maintenir leurs marges alors que les industriels ont déjà joué au maximum sur la leur".

"On n'a plus aucune visibilité", déplore de son côté Frédérik Cornuaud, de l'enseigne féminine La Mode est à Vous. "Personne ne garantit plus les prix au-delà de trois mois, et les fournisseurs n’arrivent plus à acheter en grosses quantités. Quoiqu’il arrive, on ne pourra pas reporter à 100%, car le public n’y est pas préparé". Même inquiétude chez Rodolphe Deveaux, directeur général de Armand Thiéry, qui déplore les tensions rencontrées avec les fournisseurs. "Il y a des gens qui ne vont pas me livrer, qui préfèrent attendre que les prix augmentent encore", explique ce dernier à l’AFP. "Si demain je vais acheter 10.000 polos à un fournisseur qui me dit 'monsieur je ne vous vends plus', comment je fais ?"

Certaines marques entendent malgré tout maintenir leurs prix de vente. "Il n’y aura pas de répercussion sur les prix", affirme ainsi Carole Petit, directrice générale de la marque Lilith, qui reste prudente. "Pour l'automne-hiver, on a réussi a absorber le surcoût, en ventilant ou en travaillant un peu différemment. Et s'il le faut, on a une petite marge d'augmentation sur nos produits, notamment haut de gamme". Même analyse chez Fusalp: "Nous allons garder les mêmes tarifs, hormis sur quelques pièces haut de gamme", explique la directrice de collection Nadine Portigliati. Du côté de la marque Stella Forest, l’augmentation ne devrait pas vraiment se ressentir car limitée à quelques pièces. Chez Sessùn, les prix devront obligatoirement monter. Et Benjamin Djeribi, patron des jeans Cimarron, explique avoir d’ores et déjà augmenté les tarifs de 2 à 10% sur les salons de janvier et février.

En janvier, la consultante de l’IFM Christel Carlotti décrivait le phénomène comme "des marques se surveillant du coin de l’œil entre elles pour savoir qui franchira le pas en premier", la première à bouger risquant de canaliser sur elle l’ensemble des critiques. Mais le moment venu, la question sera surtout de savoir quelle politique les marques adopteront: une hausse discrète, ne laissant qu’aux habitués le soin de la constater ; ou engagement d’un dialogue permettant aux marques d’expliquer la situation à leurs clients. Le maintien de la qualité des produits pourrait alors prendre des airs d’argument massue.

Par Matthieu Guinebault, avec Anaïs Lerévérend, Olivier Guyot, Jean-Paul Leroy et AFP

Tous droits de reproduction et de représentation réservés.
© 2024 FashionNetwork.com