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27 avr. 2023
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Nathalie Dufour (Andam): "Nous avons été vraiment présents sur tous les courants de la mode"

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27 avr. 2023

A l’occasion de la remise du prix de l’Innovation, la fondatrice et directrice de l’Andam (l’Association nationale pour le développement des arts de la mode), Nathalie Dufour, fait le point avec FashionNetwork.com sur le prestigieux concours pour la jeune création, qui fêtera ses 35 ans l’an prochain et qui a récompensé, entre autres, Martin Margiela, Christophe Lemaire, Viktor & Rolf, Jeremy Scott, Anthony Vaccarello et Iris Van Herpen. Elle nous raconte comment elle a vu évoluer la mode et le marché du luxe ces trois dernières décennies.


Nathalie Dufour - ANDAM

 
FashionNetwork.com: Comment a évolué le prix de l’Andam ces 30 dernières années?

Nathalie Dufour: 
Il y a 34 ans, il n’y avait que le Festival de Hyères et l’Andam. A l’époque, nous souhaitions accompagner une jeune génération de stylistes autonomes, qui n’étaient pas des directeurs artistiques de maison. Au fil des ans, le concours a permis de faire rayonner une nouvelle génération, qui s’est affirmée à travers des success-story. Ce phénomène des success-story est récent, il a dix ans.

FNW: Pouvez-vous nous donner des exemples?

ND: 
Il y a eu bien sûr le premier lauréat en 1989, Martin Margiela, qui était tellement innovant et proche d’un concept artistique. Alexandre Mattiussi avec sa marque AMI Paris, qui a remporté le grand prix en 2013. Plus récemment, il a eu Marine Serre avec un business totalement basé sur la régénération textile et Y/Project, récompensés en 2020 pendant le Covid. Je suis très fière aussi de Ludovic de Saint Sernin, qui a gagné le prix du label créatif en 2018. A l’époque, il occupait une niche liée à la vision de la masculinité sexualisée. Depuis, ce segment s’est ouvert. Nous avons été vraiment présents sur tous les courants de la mode. Avoir 35 ans de regard sur la mode, c’est passionnant.
 
FNW: Avez-vous eu l’impression d’être passés parfois à côté de certains grands noms potentiels?

ND: 
Jacquemus et Demna, par exemple, ont figuré parmi nos finalistes, mais n’ont gagné aucun prix. Ils étaient déjà bien développés. Nous sommes là plutôt pour prendre des risques, et non pour soutenir des créateurs déjà engagés vers un certain succès. Il se trouve que Demna a été nommé à la tête de Balenciaga l’année suivante…
  
FNW: Qu’est-ce qui vous différencie des autres concours pour jeunes créateurs? 

ND: 
Ce qui différencie l’Andam, c’est son côté très institutionnel. Nous avons dans notre conseil d’administration les principaux représentants des organes de la mode, avec le DEFI, le ministère de la culture jusqu'à l’IFM et la Fédération de la haute couture et de la mode, ainsi que les représentants des plus importants acteurs de l’industrie, tels Chanel, Hermès, LVMH, Kering. C’est un peu comme un consortium créé pour valoriser l’industrie de la mode en France en faisant monter en puissance les jeunes marques. En particulier, en captant des talents étrangers, qui sont amenés à installer une filiale en France, à collaborer avec nos façonniers en accédant à nos savoir-faire d’exception. Ce qui du coup, les pousse à se positionner davantage dans le luxe.
 
FNW: Cette année, la dotation totale du prix de l’Andam atteint 700.000 euros, un record…

ND: 
C’est beaucoup. Mais c’est nécessaire. Avec l’inflation et l’augmentation du prix des matières premières. Et puis, comme je le disais, on demande à nos lauréats internationaux de s’inscrire dans une démarche de made in France. Cela a un coût. Par exemple, nous avons décerné notre prix spécial l’an dernier au designer originaire de Hong Kong Robert Wun, qui a pu intégrer dans la foulée la Semaine de la Haute Couture, où il a défilé en janvier.
 
L’idée c’est de dire que la mode ce n’est pas juste un art, mais aussi un secteur industriel. Or quand ils se lancent, ces jeunes stylistes manquent de moyens, d’autant qu’ils doivent s’inscrire aujourd’hui dans une démarche louable et vertueuse. Tout le monde n'a pas les moyens de le faire. C’est extrêmement cher de sourcer ses matières ou d’appliquer certains processus de fabrication et de plus en plus complexe d’être au niveau de la transformation actuelle qu’opèrent les grands groupes, qui eux ont les moyens. Nous, au-delà de la dotation financière, on leur donne des conseils de très haut niveau et gratuits.


Rushemy Botter et Lisi Herreburgh de Botter ont remporté le prix de l'Andam en 2022 - © ImaxTree


 
FNW: Qu’est-ce qui caractérise le prix de l’Andam aujourd’hui?

ND: 
Ce qui est nouveau, c’est l’engagement de l’industrie, qui est devenue très attentive à la jeune génération. Il y a une majeure prise de conscience de la part des acteurs de l’industrie et des grands groupes, qu’il faut valoriser les jeunes talents. Ils ont bien compris l’importance d’avoir une relève indépendante qui porte aussi l’écosystème des PME. De fait, au-delà de la dotation financière, chacun de nos mécènes offre un accompagnement d’un super niveau aux lauréats. Ce mentoring est maintenant très détaillé, bordé et valorisé. Il y a la volonté de tout faire pour porter cette génération. A commencer par leur faire une place, car les grands groupes de luxe français sont très présents et il est parfois difficile pour les jeunes de faire entendre leur voix.
 
FNW: Quand avez-vous créé le prix de l’Innovation et pourquoi?

ND: 
En 2017. En cinq ans, nous avons aidé cinq startups. J’avais été dans la région de Los Angeles, où il y avait une révolution technologique. En France, c’était le début. Aujourd’hui, il y a beaucoup plus d’investissements dans ce secteur. A l’époque, on n'en parlait pas beaucoup, alors qu’il y avait de plus en plus de solutions innovantes qui s’offraient à la mode avec la digitalisation, l’IA, que ce soit dans les processus de fabrication ou tout ce qui concernait le sourcing, les matières biosourcées, etc. Il y avait quelque chose d’important qui se jouait pour le luxe et les marques et j’ai voulu monter un écosystème en identifiant des jeunes talents et entreprises dans tous les domaines.
 
FNW: Vous allez annoncer bientôt les finalistes du prix de l’Andam, comment se caractérise la promotion 2023?

ND: 
En termes de style, nous avons essayé de couvrir tous les courants, du baroque au minimalisme. En lice pour la finale, il y a de nombreuses marques internationales, du Japon à la Chine, en passant par l’Afrique et le Brésil. Beaucoup ont une culture très hybride. Ce qui est rafraichissant cette année, c’est cette liberté d’exposer le corps, qui est totalement dévoilé par morceaux, à travers des jeux assez audacieux, sans tabou, ni sexualisation. Je n’avais jamais vu ça.
 
FNW: Que signifie être créateur de mode aujourd’hui?

ND: 
Les jeunes créateurs sont des entrepreneurs, cet aspect est fortement intégré désormais. Quand ils se lancent, il faut déjà qu’il y ait l’embryon d’une envie de s’installer dans le marché avec une ambition. Il y a aussi l’écoresponsabilité, un aspect de plus en plus fort et indispensable. Tout le monde le fait, mais de façon plus ou moins engagée. Le style est important. On ne crée plus un vêtement juste pour faire un vêtement. Il faut que l’initiative ait un bien-fondé. Avoir ce plus qui va différencier la marque et la rendre plus désirable.
 
FNW: L’an prochain, l’Andam fêtera ses 35 ans. Vous pouvez nous en dévoiler un peu plus?

ND: 
En 2024, le prix de l’Andam sera parrainé par Francesca Bellettini, la PDG de Saint Laurent, qui va succéder à Riccardo Bellini, le DG de Chloé, le parrain de cette édition 2023. Cela sera l’occasion de rendre hommage à Pierre Bergé qui, avec la Fondation Pierre Bergé - Yves Saint Laurent, a participé à la création de ce prix en 1989, dont il a été le président jusqu’en 2017.

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