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5 avr. 2023
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Passeport numérique des produits: quel potentiel pour la mode et le luxe?

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5 avr. 2023

La Commission européenne poursuit actuellement son projet de passeport numérique des produits (ou “Digital product passport”, soit DPP). Son objectif est de pouvoir contrôler le respect des règles d'éco-conception en associant au document numérique les données d'origine et de production du produit. Un outil qui pourrait prendre le chemin de la blockchain, ces bases de données décentralisées ouvrant la voie à une future exploitation marketing et commerciale du passeport par les marques.


Le DPP doit permettre d'accéder aux données de production et de durabilité d'un produit, à destination des autorités de contrôle comme des consommateurs - Shutterstock


Le projet du DPP a été dévoilé le 30 mars 2022, pour un accès obligatoire aux données attendues, pour l’instant, en 2026. Mais le Digital product passport aura vraisemblablement une interprétation a minima, qui sera un peu coûteuse et pas très productive pour les marques elles-mêmes, explique à FashionNetwork.com Joël Hazan, directeur associé chez Boston Consulting Group (BCG). Pour lui, si la version minimaliste du projet porte sur les données de fabrication et de recyclabilité, le DPP ouvre d’autres voies.

“C’est en fait une obligation qui ouvre une opportunité”, pour le spécialiste de la question. “A partir du moment où l’on doit créer cette obligation de façon digitale, qui peut être mise à disposition de tout le monde, la question est de savoir si on ne peut pas en faire plus. La question pour les marques est de savoir si elles peuvent développer toute une politique de services autour de ces identifiants.

Pour Jöel Hazan, co-auteur d’un rapport dédié publié en janvier avec la blockchain Arianee, tous les secteurs où il y a une seconde vie ou une recyclabilité des produits sont concernés, de l’automobile à l’habillement. Mais, dans la mode et le luxe, c’est sur le marché de la seconde main que le DPP pourrait générer le plus d'activité.

“Un produit qui serait associé à un “token”, son jumeau digital, pourrait par exemple, si je le décide, être visible sur une plateforme”, explique l’expert, prenant l’exemple d’une paire de sneakers. “Sur cette plateforme, des gens pourraient alors me faire des offres qui suscitent mon intérêt, même si je ne pensais pas forcément vendre. C’est déjà ce qu’il se passe avec certains NFT, et cela peut créer énormément d'offres.

Quels types de systèmes pour quelles problématiques? 



Pour le BCG, trois voies sont aujourd’hui compatibles avec le Digital product passport. Tout d’abord celle d’une gestion centralisée des données, où les informations liées aux produits seraient stockées dans une ou plusieurs bases de données gérées par un tiers. Problème: seul ce tiers aurait droit d'accès et d’édition sur ces données.

Les deux autres voies reposent, elles, sur un passeport validé par une blockchain. Un système qui, via son stockage décentralisé, a pour avantage d’offrir une sécurisation accrue, un seul utilisateur ou gestionnaire ne pouvant pas en altérer les données. Chaque changement des données y est par ailleurs traçable.

Dans ces voies ouvertes par la blockchain, deux possibilités s’offrent au DPP.
Tout d’abord celle où un utilisateur s’identifierait comme le propriétaire d’une pièce physique auprès d’une banque de données numérique pilotée par une marque ou un prestataire. Une blockchain privée, ou partagée avec un consortium, dont le plus éminent représentant est pour l’heure la blockchain Aura initiée par le groupe LVMH. Un premier type d’approche de la blockchain limité, du fait de son écosystème fermé, juge cependant BCG.

“L'interopérabilité native que permettent les blockchains publiques est clef pour développer dans le temps de futurs services”, explique Joël Hazan. Qui souligne que l’Europe va cadrer beaucoup de choses, mais n'a pas forcément les moyens d’y parvenir. “Les blockchains privées ont été créées au départ pour optimiser des processus internes. Du jour où l’on veut aller vers la relation client, les blockchains privées sont mortes”. 

Une autre voie possible est alors le “tokenisation” du DPP. Le passeport numérique serait cette fois stocké sur une blockchain publique, et pilotable de façon sécurisée via des droits d’accès chiffrés. Une approche qui permettrait aux marques de garder un œil sur leur clientèle, mais aussi profiter d’un écosystème ouvert où de futures fonctionnalités pourraient émerger. Un point redouté par nombre de marques, qui craignent de voir d’autres structures prospérer sur les données liées à leurs propres clients.

Des marques toujours plus sensibilisées



Le projet de Digital product passport devrait quoi qu’il arrive renforcer l’intérêt des marques pour la blockchain. Un intérêt qui avait déjà pris son envol avec la ruée lancée par Facebook sur les métavers. Mais alors que, dans la pratique, ces outils ne sont encore que marginalement adoptés par les consommateurs, les marques adopteraient désormais sur ces questions une approche plus raisonnée, et des applications concrètes, pour Joël Hazan.


Shutterstock



“Dans l’horlogerie, cela fait des années que l’on se demande comment les marques peuvent laisser autant de valeur partir dans la seconde main. Or on voit Rolex et Audemars Piguet lancer des certifications de seconde main, et la blockchain vient aider à la sécurisation des reventes”, explique l’expert. 

La blockchain, en offrant une connaissance encore plus précise des clients et de leurs achats, peut aussi jouer les leviers marketing pour fidéliser ou générer de nouvelles ventes. “Toutes les marques qui n’ont pas de relation directe avec le client ont tout intérêt à utiliser le DPP pour communiquer avec lui”, estime Joël Hazan. “Ce ne sont plus les détaillants qui auront toute la donnée client”.  

Difficile de ne pas faire le rapprochement avec la révolution qu'ont été les réseaux sociaux. A leur naissance, les marques, notamment dans le luxe, les boudaient volontiers. Aujourd’hui, nombre d'entre elles sont dépendantes de ces générateurs d'audience, estime le responsable de BCG. Qui souligne que la blockchain ne pose pas ce risque de dépendance. “Il y a un risque que cela ne devienne pas un standard technologique, ou que la décentralisation des données ne se prête pas à tous les aspects de l’activité”.

Reste la praticité. Il faut un “wallet” (portefeuille en ligne) pour stocker ses NFT et cryptomonnaies. Ceux qui ont tenté l'expérience ces dernières années peuvent témoigner de l'ergonomie aléatoire et praticité toute relative des interfaces proposées. “C’est fini, cela”, insiste cependant Joël Hazan, pour qui les consommateurs ne feront aucun compromis sur la facilité d’utilisation, qui doit être aussi fluide et simple que sur n’importe quel portail en ligne. 

Avant de savoir ce qui germera du DPP, sa forme même reste inconnue. Bruxelles cherche en effet un dispositif qui resterait accessible pour les PME. D’où un projet encore vague, où

l

es passeports des produits pourraient même ne pas se faire pièce par pièce, mais par lot de pièces identiques. Limitant ainsi l’exploitation plus large dudit dispositif.

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