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14 févr. 2012
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Philippe Pasquet: "La création a besoin de temps pour être forte"

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14 févr. 2012

Première Vision Pluriel a ouvert ses portes ce mardi matin 14 février à Villepinte. Le salon est l’une des plaques tournantes de la mode mondiale. Une bonne raison de demander à Philippe Pasquet, président du directoire de Première Vision, ce qu’il pense de l’évolution du secteur.


Philippe Pasquet, président du directoire de Première Vision (photo PIxel Formula)

FashionMagPremium: Première Vision ouvre ses portes dans un climat économique mondial peu souriant. Le ressentez-vous, en tant que dirigeant de Première Vision ?

Philippe Pasquet: Évidemment, l’environnement n’est pas bon. C’est surtout vrai en Europe. Aux États-Unis, c’est déjà mieux et la situation n’est pas catastrophique au Japon. Les marchés émergents sont aussi impactés par le ralentissement global car une partie de leurs économies est tirée par les pays occidentaux. Ils progressent donc moins vite… Mais ils progressent !
Il faut voir aussi que 2011 a été divisée en deux. La première partie de l’année a été très bonne en termes économiques. Les signes de croissance étaient là. C’est à partir de septembre qu’est arrivé le grand plongeon après le déclenchement de la crise grecque. In fine, 2011 n’a pas été si mauvaise pour les entreprises. Le solde reste positif. Quant à Première Vision, les salons que nous avons connu depuis le déclenchement de la crise n’ont pas été impactés tant en nombre d’exposants qu’en nombre de visiteurs. En septembre 2011, nous avons ainsi enregistré une hausse de 10% du nombre de visiteurs par rapport à février. Denim by a augmenté son visitorat de 24%.

FMP: Est-ce à dire que Première Vision ne connait pas la crise ?
PP: Il faut être très prudent dans l’analyse. On peut en toute logique s’attendre à des défaillances d’entreprises sur 2012. Nous remarquons aussi que le visitorat est de plus en plus opportuniste. Il décide très tardivement de ses déplacements. Or, les salons, c’est une industrie lourde, à l’image des filatures par exemple. Il faut par exemple réserver les parcs deux ans à l’avance. Pour autant, Première Vision a un grand atout, sa capacité à attirer les nouveaux marchés. Aujourd’hui, les Français pèsent 25% des visiteurs, les autres pays européens 50% et le grand export 25%. Le nombre de visiteurs chinois a progressé de 34% lors du dernier salon, pour atteindre 1500 visiteurs. La Chine est devenue le 7ème pays visiteur. Nous avions beaucoup perdu sur les Etats-Unis avec la crise de 2008/2009. Les visiteurs américains sont remontés de 19%. C’est un gros travail, de long terme, pour faire se déplacer des gens du grand export. Cela fait longtemps que nous travaillons sur la Chine avec notre salon lancé en 2004 à Pékin. Peut-être à l’époque, c’était trop tôt. Mais, aujourd’hui, nous en récoltons les fruits jusqu’au salon de Paris. Depuis deux sessions, on voit d’ailleurs le profil des acheteurs chinois évolués. Ce ne sont plus des copieurs comme certains le craignent souvent. Ils ont évidemment la capacité d’achat et acquièrent une vraie culture de mode. C’est la loi des nouveaux marchés.

FMP: Vous dites souvent que Première Vision est le seul salon mondial dans son secteur. Ce n’est pas un peu prétentieux ?
PP: C’est la réalité. Nous avons évidemment des concurrents, mais partiels. Si l’on prend Munich Fabric Start, il rayonne surtout sur les marchés germaniques, Milano Unica attire pour les Italiens (ceux de Biella notamment) et l’homme formel. La force de Première Vision est de ne pas s’être positionné comme un salon français ou européen, mais comme un salon construit autour de l’idée de qualité et de créativité. Nous avons mis en place depuis longtemps des critères de sélection dans le cadre d’une procédure bien huilée. Ils reposent sur une volonté de produits à forte valeur ajoutée, sur la création pure, la création-innovation. Pas moins de 15000 échantillons nous arrivent ainsi chaque année. Quand nous étudions les dossiers, nous ne regardons pas la nationalité de l’entreprise. On a un atout pour pratiquer ainsi. Le salon Première Vision n’a jamais eu de subvention de sa vie. Donc nous n’avons aucune pression nationale. Nous n’avons qu’un maître, le marché de la mode et donc nous appliquons une logique de marché.

FMP: Les exposants sont quand même à une très large majorité européens…
PP: De fait, ils représentent 80% du total. Et les Italiens pèsent même 46% du total. C’est tout simplement parce qu’ils remplissent les critères. Mais les lignes bougent. Nous avons aujourd’hui quelque 55 tisseurs turcs. Nous en avons refusé plus de 300 ! Nous présentons 5 tisseurs chinois, trois ou quatre indiens. Parce qu’ils ont rempli les critères. Cela ne reflète sans doute pas la géographie mondiale du tissage. On voit bien que tout le monde, pourvu qu’on ait de l’argent, peut acheter des machines, avoir de bonnes écoles d’ingénieurs, etc. La culture de mode, ça ne s’achète pas comme cela. Les Chinois d’ailleurs s’en rendent compte par eux-mêmes.
La Turquie progresse par exemple fortement. Mais le pays est proche du marché européen. Les professionnels de ce pays profitent sans nul doute de ce que l’on peut appeler un brassage créatif. Les Chinois progressent aussi. Les exposants chinois à Première Vision sont fiers d’être là. Chez eux, c’est un peu vécu comme l’obtention de la légion d’honneur. L’un d’entre eux, par exemple, a une équipe de 50 ingénieurs en recherche-développement, et est partenaire privilégié de la Woolmark. Il possède plus 50% du capital du géant japonais Renown.
Nous n’avons pas la prétention de toute manière de couvrir tout le marché. Et puis, ça n’a pas toujours été facile d’intégrer tel ou tel tisseur venant de pays perçus comme copieur. Il faut parfois bousculer les exposants même si dans un salon professionnel ils représentent la grande majorité du chiffre d’affaires. Car ils ne viennent que parce qu’il y a des visiteurs.

FMP: Première Vision a lancé des salons à New York, en Chine, au Brésil. Pourquoi cette démarche et comment cela fonctionne-t-il ?

PP: Nous avons depuis longtemps développé une politique de marques sur nos salons. Nous y avons mis du contenu en tant qu’organisateur. Nos marques sont protégées partout. Nous avons un moment décidé d’un dispositif mondial qui repose évidemment sur le salon de Paris qui est le cœur de celui-ci. Et cela ne devrait pas bouger à horizon visible. Ensuite, il a été considéré que, pour certains grands marchés lointains, importants en taille, il était intéressant d’avoir des manifestations sur place. D’où Preview New York, Première Vision Pékin, et Première Vision Moscou et à Sao Paulo, au Brésil.
A New York, le salon est fait pour de grands opérateurs qui enclenchent très tôt le processus des collections. Ce sont les mêmes exposants qu’à Paris. C’est en quelque sorte un service de proximité à destination des Américains. En Chine, ça a été plus compliqué. Comme je l’ai déjà dit, peut-être Première Vision est-il allé trop tôt là bas. Le marché n’était pas assez sophistiqué à l’époque. En fait, ça a beaucoup changé ces trois dernières années. Une anecdote: dans les premiers temps, lors des séminaires, les gens mangeaient pendant les sessions, sortaient des salles, téléphonaient. Aujourd'hui, c’est très studieux... Je connais un soyeux français qui a commencé en Chine en 2004. Aujourd’hui, c’est son premier marché.
La Russie évolue plus lentement. Le pays est en train de se construire une histoire de mode avec ses créateurs, des petits réseaux de boutiques. On a sur place adapté nos services en organisant par exemple des visites guidées du Forum, en aidant à l’émergence d’agents.
Premiere Brasil, c’est différent encore. C’est historiquement un grand pays au marché fermé et quelque part auto-suffisant. Les entreprises locales textiles étaient peu exportatrices et le marché intérieur peu important. Aujourd’hui, c’est le marché important de l’hémisphère Sud. Nous y avons développé un concept également sélectif mais avec une offre locale importante. Et nous progressons fortement. En janvier 2010, nous avions reçu 3000 visiteurs. Ils étaient plus de 8000 lors de la dernière session.


Le salon parisien est au cœur du dispositif - Photo Première Vision / Stéphane Kossmann, Charles Siaux


FMP: Vous envisagez de vous installer dans d’autres pays ?
PP: Nous avons une approche de niche, avec une volonté de saturer le marché. On ira donc partout où il y a un marché qui correspond à cette approche. Par exemple, nous avons eu une expérience courte au Japon. Nous y retournerons, mais il faut trouver le bon partenaire.
L’Inde est un marché qui n’est pas mur aujourd’hui, selon moi.

FMP: Et la Turquie?
PP: Nous venons d’ouvrir un bureau de représentation à Istanbul. C’est un pays qui exporte entre deux et trois fois plus de vêtements finis que de textile. C’est un des principaux marchés que l’on travaille depuis Paris. Notre objectif aujourd’hui via ce bureau est de faire de la promotion auprès des visiteurs, du marketing, des relations presse. Cela n’exclut pas une réflexion sur la Turquie en tant que place régionale. C’est un carrefour pour le marché textile-mode de la région. C’est une bonne question.

FMP: Les salons de Paris ou plutôt le salon de mode de Paris ont décidé d’avancer leurs dates à fin juin-début juillet plutôt que septembre ? Est-ce que cela peut vous conduire à reconsidérer votre calendrier ?
PP: C’est quelque part un faux sujet… Il faut rester calme sur ces questions et se garder de toute émotion inutile ! Le vrai problème est que le calendrier de la filière est très serré notamment du fait du rythme accru des collections. Nous faisons sur ces questions très régulièrement des enquêtes avec un cabinet extérieur. Or rien nous dit de changer nos dates. C’est du fait des remontées de ces enquêtes par exemple que nous avions décidé de réduire le salon de quatre à trois jours. Les exposants et les visiteurs étaient pour. Personnellement, j’étais contre. Nos enquêtes montrent que ce fut une bonne décision.
Il faut se rappeler plusieurs choses. Nous sommes un salon mondial. Nous devons donc répondre à une problématique mondiale. Pour nos visiteurs japonais, nous serions presque trop tôt en saison. Première Vision a comme grands visiteurs les griffes, les enseignes. Que je sache, Zara ou Hermès ne visitent pas la porte de Versailles comme acheteurs en tout cas. Plutôt que les dates des salons de mode, nous sommes plus à l’affut d’éventuels changements de dates des fashion weeks. J’ai l’impression parfois que nombre de professionnels se font dicter leur conduite par le calendrier américain, avec des acteurs qui travaillent sur de gros volumes et en délocalisation.
J’insiste de nouveau sur un point. La création a besoin de temps pour être forte. Cette partie créative du métier se tire une balle dans le genou si on anticipe trop. Aujourd’hui, il y a des entreprises qui organisent leur planning en fonction des dates de Première Vision. La mode ne peut pas se permettre de perdre des parts de marché face à des produits high tech en évolution permanente parce qu’elle aurait perdu sa créativité.

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