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30 juin 2021
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Pingki Houang (Scalapay): "Sans sens donné à l'entreprise, il y a peu de chance que les distributeurs de mode puissent perdurer"

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30 juin 2021

Ancien dirigeant de Pixmania, Showroom Privé, également passé par la Fnac ou Stuart, PingKi Houang a été à partir de 2017 l'un des acteurs forts de la transformation de Jules et de la constitution de l'écosystème FashionCube (Jules, Bizzbee, Rouge Gorge, Grain de Malice...). Il a également développé Fashion Data, une plateforme de mutualisation des données et des outils d'intelligence artificielle entre différentes enseignes de mode, parfois concurrentes. Cette année, il a rejoint l'un des nouveaux interlocuteurs de ces acteurs, la start-up italienne Scalapay dont il va développer l'activité de spécialiste des facilités de paiement dans l'Hexagone. Pour FashionNetwork.com, le dirigeant livre ce qui l'enthousiasme dans ce nouveau challenge et partage son analyse du secteur de la distribution mode.


PingKi Houang - DR


FashionNetwork.com : Après avoir créé un pure player, dirigé des services chez des acteurs de la distribution physique, agi sur leur transformation, qu'est-ce qui vous motive dans le fait de rejoindre un acteur comme Scalapay?

PingKi Houang :
En préambule, je précise que j'ai particulièrement apprécié toutes mes expériences passées, ayant eu la chance d'avoir côtoyé des dirigeants et des investisseurs qui m'ont toujours laissé l'autonomie nécessaire pour atteindre les objectifs fixés. FashionCube, sans être un pure player, a été particulièrement audacieux dans sa démarche de transformation.

Scalapay est un nouveau défi pour moi. L'entreprise fait partie des rares sociétés à cocher toutes les cases pour être la future pépite et pourquoi pas même devenir une licorne (entreprise valorisée à plus d'un milliard de dollars, ndlr) : elle répond à un besoin véritable, à une forte demande du marché, dispose de fonds pour être "scalable" (évolutive en français) dans plusieurs pays, et surtout une équipe et des fondateurs passionnés et engagés.

FNW : Qu'est-ce que cela change d'être chez un acteur du B2B?

PH :
Quand on passe de l'autre "côté de la barrière", on devient vendeur de quelque chose alors qu'on était auparavant acheteur potentiel de tout. Il arrive que certaines personnes ne me prennent plus en ligne ou changent soudainement de position. Personnellement, j'ai toujours répondu, écouté les acteurs B2B considérant que ce sont potentiellement des partenaires de l'accélération de mon business.

FNW : On voit qu'au-delà cette société, le paiement fractionné attire les investisseurs et interpelle les acteurs de la distribution, pourquoi?

PH : C'est effectivement en plein boom. Pour les investisseurs, c'est un modèle simple, qui répond à la fois aux acteurs de la distribution et aux consommateurs finaux, avec un modèle économique déjà éprouvé. Pour les acteurs de la distribution, le paiement fractionné est probablement le meilleur outil qui permet à la fois d'augmenter le taux de conversion et d'augmenter le panier moyen. En effet, d'abord le client n'avait peut-être pas les moyens de s'offrir le produit à un instant T et cette solution lui offre cette possibilité. Ensuite, l'opération étant entièrement sans frais pour le client, il est facile de comprendre que celui-ci peut s'offrir deux articles alors qu'il n'avait prévu d'en acheter qu'un. Psychologiquement, c'est différent de dépenser 90 ou 120 euros, alors qu'il n'y a qu'un pas entre dépenser trois fois trente euros et trois fois quarante euros.

"La refonte d'une informatique, souvent vieillissante, est essentielle"



FNW : Vous traitez depuis des années les questions de l'évolution technologique de la vente en ligne, puis du multicanal, de l'omnicanal. Quelles sont les priorités actuelles pour les enseignes?

PH : La crise sanitaire étant passée par là, les priorités sont sans équivoque. C'est enfin l'heure d'une vraie prise de conscience ! Le e-commerce a été salvateur pour certains, en particulier ceux qui avait commencé une démarche de transformation omnicanale. Mais cela a aussi été révélateur du retard pour d'autres. Plus largement, les priorités seront donc digitales. C'est rarement évoqué, mais la refonte d'une informatique, souvent vieillissante est essentielle. Ensuite les acteurs devront redonner du sens (impact, RSE), de la valeur à la marque, et essayer d'être encore plus agiles.

FNW : Vous avez participé activement à la mise sur pied et au développement de la plateforme Fashion Data. Quel était l'enjeu d'avoir une plateforme partagée avec différents acteurs? Quel bilan tirez-vous de cette expérience?

PH : L'enjeu était de donner les meilleures clés de lecture pour les acteurs de la mode au travers de l'utilisation de la data et de l'intelligence artificielle, avec trois dimensions totalement connectées (client, produit et logistique), pour que chacun puisse faire "moins" mais mieux. Cela permettait de mutualiser les coûts entre différents acteurs. On voit que grâce à FahionCube, Fashion Data est en phase de réussir son premier pari et commence à convaincre de nouveaux acteurs. Le bilan est donc très positif, même si cela a été plus long à mettre en œuvre que prévu.

FNW : Sur quel autre sujet vous paraît-il intéressant d'avoir un partage entre acteurs d'un secteur ?

PH : C'est probablement l'opportunité qu'a créée la crise sanitaire : le "ensemble" est moins tabou qu'avant. Pour exemple, les "shops-in-shop" ou corners de marque accueillis chez d'autres marques se développent largement. Auparavant, c'était  impossible car toute autre enseigne était considérée comme concurrente. Ce qui me semble beaucoup plus intéressant, c'est évidemment le mouvement de fond autour des sujets sur l'environnement. La manière dont il sera possible d'articuler le "moins mais mieux". La question de la capacité du secteur à participer à une réindustrialisation en France est aussi passionnante. Je trouve que le Fashion Cube Denim Center en est un bon exemple de ce qu'il est possible de faire.

FNW : Vous qui l'avez vécu de l'intérieur chez FashionCube, quelles sont les difficultés pour les enseignes pour mener de front transformation digitale et RSE?

PH : N'étant plus chez dans cette entreprise, je ne vais pas parler en leur nom de FashionCube. En revanche et plus généralement, ayant côtoyé beaucoup de retailers, je constate que la transformation digitale est pour certains déjà douloureuse. C'est souvent dû à un sous-investissement initial en innovation, ou plus simplement au maintien des systèmes d'information existants.

La RSE est pour le coup à peine démarrée dans la plupart des entreprises. Dans les deux cas, c'est d'abord une question d'engagement de la direction générale. C'est elle qui doit avoir la volonté de mener ces deux sujets, puis arrive très vite le sujet des moyens. Comment concilier les deux alors que ces acteurs ont subi de plein fouet des grèves, des manifestations et des magasins fermés. Seules les marques ayant une vision à long terme mais surtout tournées vers leurs clients pourront y arriver.
 
FNW : Quel regard portez-vous sur la distribution mode, accessoires, chaussures? Quel est le profil de ceux qui, d'après vous, domineront le marché dans les prochaines années?

PH : Je reste intimement convaincu que les consommateurs continueront à acheter à la fois en magasin et en ligne. Ce qui veut dire que que les acteurs qui maîtrisent à la fois ces deux canaux, en ayant une vision unique de leurs clients avec une organisation omnicanale aboutie, seront les plus disposés à répondre correctement à leurs attentes.

En arrière plan, cela veut donc dire qu'il faut parfaitement maîtriser le digital, la data et l'intelligence artificielle. Les grands gagnants seront sans aucun doute les entreprises ou organisations avec l'humain au centre, utilisant la machine à bon escient.

Je crois enfin que, sans marque et sans sens donné à l'entreprise, il y a peu de chance que ces distributeurs puissent perdurer. Les clients s'écarteront progressivement de ceux qui ne proposeront rien.
 
 

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