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22 juil. 2021
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Post-crise: quels sont les nouveaux enjeux géopolitiques?

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22 juil. 2021

Après un an et demi de pandémie, ponctuée par des crises sanitaires à répétition accompagnées d’une crise économique mondiale, le scénario qui se présente aujourd’hui aux entrepreneurs a profondément changé. A l’occasion d’une visioconférence organisée par Sistema Moda Italia (SMI), qui fédère les entreprises du textile et de l’habillement italiennes, l’expert Paolo Magri a dressé un bilan en demi-teinte, mettant en avant cinq points positifs, mais aussi une série d’éléments à tenir sous contrôle.


Paolo Magri - SMI


Vice-président exécutif de l’Ispi, l’Institut italien pour les études de politique internationale, et professeur de relations internationales à l’université milanaise Bocconi, ce dernier se veut optimiste et a surtout souligné les conséquences géopolitiques les plus positives engendrées par cette "annus horribilis".

"Dans l’ensemble, le monde se porte mieux par rapport à il y a un an. Presque tous les pays ont renoué avec la croissance en ce début d’année, alors qu’ils étaient négatifs il y a encore peu. Il y a quelques mois, nous n’avions pas le vaccin. Même si certains pays ne l’ont toujours pas et que l’incertitude demeure, l’horizon s’est éclairci et nous pouvons nous réjouir d’au moins cinq bonnes nouvelles", a-t-il déclaré.

Première note positive, à l’Amérique de Donald Trump a succédé celle de Joe Biden. "Après les positions contradictoires et hargneuses du premier, qui défiait l’Europe, avec le second le beau temps est revenu après la tempête". Autre progrès notable, la prise de conscience sur l'environnement. "Désormais, la plupart des pays accélèrent sur la transition écologique."

Troisième point encourageant, le passage "d’une Europe divisée et paralysée à une Union européenne plus tonique et inspirée". "Personne n’aurait parié sur l’Europe il y a un an", glisse Paolo Magri.

Par ailleurs, le multilatéralisme était totalement paralysé avec un monde "plus divisé que jamais", expose-t-il en rappelant "les tensions avec la Russie, la Chine, la Turquie". Enfin, l’Italie, qui était la surveillée spéciale de l’Europe pour son euroscepticisme, sa croissance au ralenti, son endettement et son immobilisme, semble aujourd’hui rentrée dans le rang. "Avec son nouveau chef du gouvernement reconnu, Mario Draghi, elle est regardée avec attention et respect".

Des interrogations



Mais ces bonnes nouvelles ne doivent pas inciter à baisser la garde. En affrontant l’une des crises économiques les plus graves, les gouvernements ont compris que les politiques monétaires ne suffisaient plus et qu’il fallait une intervention fiscale keynésienne.

Cependant, ils n’ont pas fait appel à une coordination internationale comme par le passé. Par ailleurs, la présence de l’Etat s’est accrue dans l’économie. Si les investissements sont les bienvenus, il faudra faire attention toutefois aux conséquences. Autre thème à surveiller, l’inflation qui pourrait refaire surface. Les entrepreneurs, en particulier du bâtiment, mais aussi du secteur de la mode, sont déjà confrontés depuis quelques mois à une pénurie des matières premières et à l’explosion de leur prix.

Pour ce qui est de la transition écologique, le professeur Magri pointe la nécessité d’investissements considérables. Mais au-delà de la question financière, "le problème, c’est de prendre conscience que les objectifs à atteindre demanderont des changements fondamentaux de comportement, porteurs eux-mêmes de coûts supplémentaires. Des changements que l’opinion publique ne semble pas prête à accepter pour l'heure. Surtout si la crise économique devait s’aggraver".


Les Etats-Unis ont renoué le dialogue avec l'Europe, tout en privilégiant leurs intérêts - PixelFormula


Du point de vue géographique, les Etats-Unis ont rouvert le dialogue avec l’Europe. "On respire indéniablement un autre air. Ils se sont à nouveau engagés en faveur d’une politique active pour réduire le réchauffement climatique et ont montré leur volonté à vouloir travailler sur des thèmes communs. Mais l’ombre du Trump plane toujours. Personne n’ose le défier au sein du parti républicain, tandis que les démocrates disposent d’une courte majorité dans les deux chambres du Congrès. Or les investissements nécessaires à la transition écologique ou d’autres réformes passent par le vote du Congrès", note le professeur.

Si les discussions multilatérales ont repris d’un côté et de l’autre de l’Atlantique, certaines décisions américaines ne risquent pas moins de mettre l’Europe dans une positon inconfortable, que ce soit concernant la Chine ou la Russie.

"La Russie compte pour le système de la mode, et la Chine encore plus. Pour l’Europe, c’est le partenaire commercial le plus important. Il est devenu fondamental. Il n’est pas question donc de l’isoler. D’autant que les ripostes que pourrait adopter la Chine envers les Etats-Unis ne manqueraient pas d’avoir des répercussions en Europe", estime-t-il. "La Chine est toujours plus nationaliste et moins ouverte aux idées nouvelles ou de liberté. Tout le monde craint sa susceptibilité. Mais avec l’interdépendance économique qui s’est créée, il est clair qu’il faudra accepter des compromis".

L’Europe est plus tonique, certes, mais elle demeure fragile. La question des migrants risque de réémerger, sans qu’aucun plan n’ait été discuté entre les pays membres. Par ailleurs, l’euroscepticisme n’a pas totalement disparu. Des pays de l’Union, telles la Pologne et la Hongrie, continuent de la défier.

La Russie va mieux, en revanche. Après avoir souffert de la dévaluation du rouble, elle récupère du terrain en surfant sur la hausse des prix du pétrole.

Enfin, la Turquie se présente comme "un marché intéressant, mais avec des criticités", qui poussent les acteurs européens à adopter une position ambivalente à son égard. "C’est un partenaire fondamental, mais aussi déviant. Une petite Chine à l’intérieur de l’Europe", résume Paolo Magri, qui rappelle que la Turquie d’aujourd’hui n’est plus celle en plein success story d’il y a cinq ans.

Sur le plan économique, le pays est en net recul. Il a souffert de la pandémie et est très dépendant des financements privés internationaux. "D’un autre côté, la Turquie nous tient par le biais de la question des migrants, qu’elle a bloqués pour le compte de l’Union européenne, et par le rôle très important qu’elle a su se tailler dans certains pays comme la Syrie, l’Irak et la Lybie", conclut-il.

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