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Clémentine Martin
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13 oct. 2021
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Pour les contenus mode, YouTube mise sur le temps long

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Clémentine Martin
Publié le
13 oct. 2021

Le milieu de la mode est actuellement inondé de contenus vidéo, adoptant des formes adaptées aux différents réseaux sociaux. La pandémie, de son côté, a donné l’impulsion qui manquait à certaines entreprises et marques qui hésitaient encore à entreprendre leur transformation digitale. Dans cet environnement, quelle est la place de YouTube et quel est le positionnement à adopter pour se démarquer de la concurrence ? Quelle stratégie marketing les maisons conçoivent-elles pour proposer des contenus vidéos intéressants sur la plateforme et renforcer leur image de marque ? À l’occasion de la présentation du rapport "YouTube’s Fashion Effect" ("L'effet mode de Youtube"), le responsable mode et beauté de l’entreprise américaine, Derek Blasberg, ainsi que la responsable marketing de Launchmetrics Alison Bringé apportent leurs visions d'experts de la création de contenu et de l’utilisation stratégique de la plateforme.


 


"Souvent, nos clients sont déjà en train d’étudier leurs performances 5 ou 10 minutes après la diffusion d’un défilé", s’amuse Derek Blasberg. La pression de l’instantanéité des résultats est forte dans l’industrie de la mode. Mais YouTube se veut un espace où le temps s’écoule moins vite, où le caractère éphémère des publications n’est plus déterminant et où le visionnage qualitatif remplace le scroll infini, quand les publications les plus récentes signent la fin de la (courte) vie des précédentes. "Les personnes qui visitent notre plateforme cherchent des expériences plus profondes, sont dans une démarche d’apprentissage ou de découverte", poursuit le responsable mode et beauté de la plateforme vidéo. Selon lui, "la puissance de YouTube consiste à proposer une narration à long terme". Une construction d’image de marque basée sur d’autres rythmes et répondant à d’autres besoins. Pour Derek Blasberg, c’est "une opportunité de connecter des marques émergentes avec un public mondial".

YouTube compte plus de deux milliards d’utilisateurs actifs par mois. Un bon argument pour encourager les marques de mode à créer des vidéos avec lesquelles elles pourront "toucher leurs consommateurs et renforcer leurs messages au-delà du moment présent". Dans le rapport publié en partenariat avec le cabinet d’analyse de données Launchmetrics, les analyses mises en avant précisent que le contenu publié sur YouTube est fréquemment visionné plusieurs fois et évalué au fil du temps, ce qui "améliore le rendement des marques à long terme". "Les marques doivent penser à créer de l’impact pour que les gens revoient leurs contenus, pas seulement pour une consommation instantanée", confirme Alison Bringé. Elle insiste sur l’intérêt de miser sur des stratégies solides qui garantissent des effets durables de leurs vidéos au fil des semaines, des mois ou même des années une fois les événements terminés.

 


Le rapport prend l’exemple du choix fait par Prada pour la présentation digitale de sa collection printemps-été 2021, imaginée conjointement par Miuccia Prada et Raf Simons. Après le défilé, la griffe italienne a diffusé une conversation au format intimiste au cours de laquelle les deux créateurs répondaient aux questions envoyées par les fans de la marque. "Les défilés de mode ne se limitent plus à l’activation d’un public au sein de l’industrie ; ils doivent inviter les consommateurs à participer, à rejoindre les événements à travers de nouveaux formats", insiste Alison Bringé. Selon elle, le développement d’un "contexte inclusif" permettant aux marques de rencontrer leurs clients est essentiel: ainsi, ils cessent d’être des spectateurs et participent activement aux événements. La vidéo, déjà vue plus de 2,5 millions de fois sur YouTube, a connu une croissance de son engagement de 350% et une hausse des vues de 400% au cours des 60 jours qui ont suivi sa publication.

Selon les deux spécialistes, la collaboration entre Dior et le rappeur Travis Scott pour la collection masculine printemps-été 2022 de la maison est un autre cas d’école. "Dior est l’une des marques qui gère le mieux ses propres canaux. YouTube a une relation forte avec l’industrie de la musique, ce qui a permis à Dior de séduire de nouveaux publics", souligne Alison Bringé. Cette alliance avec une personnalité suivie par de nombreux followers fidèles, avec une présence bien installée sur la plateforme, a joué le rôle d’amplificateur. Actuellement, le fondateur du groupe Cactus Jack compte la bagatelle de 15,2 millions d’abonnés sur YouTube. La diffusion en direct du défilé, sur la chaîne de la griffe du groupe LVMH et sur celle du rappeur, lui a valu la deuxième place du podium en valeur d’impact médiatique durant la saison en question. "Éveiller l’intérêt du public et répondre à ses attentes en publiant du contenu s’est révélé essentiel", admet Dior, qui avait auparavant publié un teaser montrant Travis Scott à l’œuvre dans l’un des ateliers de la maison.


 


De son côté, Kerby Jean-Raymond s’est lui aussi distingué pendant la tenue de la semaine de la Haute Couture en juillet dernier. À cette occasion, Pyer Moss est entrée dans l’histoire en tant que première marque fondée par un créateur afro-américain invitée par la Fédération de la Haute Couture à rejoindre son calendrier. Et le designer a bien compris l’intérêt de fournir des contenus animés à la presse. "Lorsque l’on élabore une stratégie médias, il faut penser au print, au digital et aux réseaux sociaux. Les responsables des RP doivent penser à fournir des contenus autres que statiques", incite la responsable marketing de Launchmetrics. Pyer Moss est, d’après elle "un excellent exemple du changement qui est en train de survenir dans l’industrie. Et cela se retrouve dans les chiffres". Durant les deux premiers mois qui ont suivi le défilé, l’engagement de la vidéo sur YouTube a bondi de 13.500% et le nombre de vues, qui atteint maintenant plus de 329.000, a crû de 13.181 %.

Des expériences intimistes à 360 °



Les campagnes à 360°, elles, présentent la spécificité d’allier le web et le monde physique. Le rapport analyse les projets qui ont suivi le premier "show-in-a-box" de JW Anderson. Il a créé un précédent en sortant de la temporalité classique des défilés, permettant d’entrer dans l’espace tranquille d’une vidéo intimiste, dans laquelle il présentait les détails de sa collection printemps-été 2021. "La vidéo est un outil permettant d’apporter une vision plus proche et plus immersive que les typiques communiqués post-défilé", analyse Derek Blasberg. Les contenus qui connaissent les plus grands succès sur YouTube ne sont pas nécessairement "des super-productions très professionnelles". C’est pourquoi l’entreprise "encourage les marques à créer des histoires plus intimes, sans forcément investir de grands budgets".


 


C’est le caractère intime et personnel de la vidéo de Jonathan Anderson qui a fait son succès. Mais Versace, de son côté, a réussi à démultiplier l’impact à long terme de sa fantaisie aquatique "Versacepolis" bien au-delà de la présentation du défilé printemps-été 2021, grâce à une stratégie basée sur cinq posts consécutifs sur YouTube. "Les consommateurs de mode cherchent des contenus toute l’année", affirme Derek Blasberg. Pour lui, il faut s’astreindre à une certaine fréquence de publication, au lieu de se limiter à des instants ponctuels. C’est ainsi que les marques pourront créer un impact durable et des résultats positifs. "Versace a parfaitement compris la notion de post qualitatif", médite Alison Bringé. D’ailleurs, l’engagement a augmenté de 700% au cours des 60 jours après le défilé.

La narration reste essentielle



Et comment gérer la multiplicité des plateformes sociales ? "L’univers des réseaux sociaux est immense, avec des réseaux comme TikTok plutôt destiné à la Gen Z, ou des plateformes comme Instagram, plutôt centrée sur l’image. Mais les gens nous comparent alors que nous n’avons vraiment rien à voir. On utilise les différentes plateformes en recherchant de choses différentes. Et les marques qui viennent sur YouTube emploient des professionnels des réseaux sociaux qui savent créer des contenus adaptés à chaque plateforme", détaille le responsable mode et beauté de l’entreprise américaine. "Les marques doivent proposer un peu de tout, parce que chaque réseau a une finalité différente", pointe Alison Bringé.

"Quand j’ai commencé ma carrière dans la mode il y a 20 ans, les marques produisaient deux vidéos maximum par défilé et les budgets dédiés aux éditos des revues papier, en revanche, étaient énormes. Maintenant, il faut penser à créer sa propre narration", explique Derek Blasberg. Selon ce spécialiste, cette stratégie doit dépasser les courtes vidéos montrant des mannequins arpentant les podiums ou des images de sacs en mouvement. "Les contenus qui ont le plus de succès sur YouTube sont ceux qui racontent des histoires", conclut-il. Selon lui, c’est la clé que les marques doivent garder en tête pour créer des contenus mode.

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