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Paul Kaplan
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23 oct. 2019
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Rencontre avec Christina Fontana, papesse de la mode du groupe Alibaba

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Paul Kaplan
Publié le
23 oct. 2019

Qui mieux que Christina Fontana, responsable Europe de la mode et du luxe chez Alibaba, la plus grande plateforme e-commerce du monde, pour parler des habitudes des consommateurs chinois ? Née à Los Angeles, Christina Fontana occupe un poste déterminant chez TMall.com, la plateforme chinoise d'Alibaba destinée aux détaillants en ligne. Un véritable carrefour de la mode, qui héberge notamment le site Luxury Pavillon, dans le collimateur des grandes marques de luxe - ou des labels émergents - qui désirent s'implanter en Chine.


Christina Fontana


Malgré son rôle central dans le secteur de la distribution en ligne, la cadre américaine est loin de prédire la disparition du commerce physique. Pour elle, les magasins devraient même attirer une nouvelle génération de consommateurs dénichés sur Internet.

"Nous sommes la plus grande société e-commerce du monde - devant eBay et Amazon - mais nous sommes convaincus que les magasins physiques ne disparaîtront jamais. D'ailleurs, nous créons des technologies qui renvoient les gens vers les magasins", expliquait-elle mercredi lors d'une conférence sur le luxe à Paris.

Le plus important, pour elle, c'est de raconter des histoires. Pour Christina Fontana, il est essentiel pour les griffes occidentales d'expliquer aux clients chinois pourquoi ils devraient acheter leurs produits plutôt qu'un produit fabriqué en Chine. Elle s'enorgueillit de proposer plus d'un milliard de produits et d'expédier 60 millions de colis par jour. Alibaba livre essentiellement en Chine, mais le géant du numérique a également développé une application qui permet aux touristes chinois visitant l'Europe de faire leurs achats sans barrière linguistique.

L'éco-système d'Alibaba atteint actuellement 730 millions de consommateurs chinois. Son système de paiement Alipay effectue plus de transactions par seconde que Visa et MasterCard combinées.  Fondée par Jack Ma dans la ville de Hangzhou en 1999, Alibaba génère d'énormes quantités de données, fournissant des informations surprenantes sur le comportement des consommateurs.

"La majorité de la demande pour les produits de mode est stimulée par les consommateurs qui habitent en dehors des grandes villes chinoises, ce que les marques occidentales ont mis un certain temps à comprendre", explique la responsable, introduite par Jonathan Siboni de LuxuryInsight à l'occasion du Global Luxury Digital Innovation Summit.

Le Graal le plus convoité pour les marques de luxe en Chine est sans hésitation le "Luxury Pavillon" d'Alibaba, qui a ouvert ses portes en août 2017 - une sorte de club exclusif qui propose des marques triées sur le volet. "Sur Luxury Pavilion, les marques de luxe construisent et exploitent leurs propres flagships virtuels, pour trouver leur public cible et communiquer leurs valeurs. Les maisons décident à la fois du prix et de leur sélections de produits", explique Christina Fontana, autour d'un café après sa conférence, avant d'indiquer que plus de 130 marques de premier plan sont présentes sur la plateforme. De Burberry, Hugo Boss et La Mer à Maserati, Guerlain et Chanel. De son côté, TMall travaille avec plus de 20 000 marques européennes, notamment très grand public comme Zara et Adidas.

Alibaba ne précise pas les revenus de ses différentes divisions. Pour l'exercice qui a pris fin en mars dernier, le géant chinois du e-commerce a déclaré que son chiffre d'affaires total a bondi de 51% pour atteindre 54,78 milliards de dollars (49,24 milliards d'euros).

Pour Christina Fontana, il existe un moyen efficace pour attirer de nouveaux clients : les événements en magasin. Sans oublier les boutiques éphémères, et les collaborations avec des leaders d'opinion, en particulier les influenceurs. "Les consommateurs chinois aiment les leaders d'opinion. Par-dessus tout, ils sont sensibles à une voix authentique. Il est donc très important de donner de la place à cette voix dans la communication de la marque", souligne-t-elle.
 
Elle cite l'exemple de Zegna, dont la ligne Triple X, ciblée sur la jeune génération, a bénéficié de la collaboration avec le chanteur et auteur-compositeur chinois Nicholas Tse, invité dans son flagship milanais, le tout accompagné d'une grande campagne de publicité sur son site et sa boutique Luxury Pavilion. Nicholas Tse a participé avec l'acteur oscarisé Mahershala Ali à la campagne "What Makes a Man" de la maison.

"Chaque année, Valentino organise des méga-événements en Asie. Quand il a ouvert son flagship à Tokyo, il a mis le savoir-faire de ses artisans qualifiés à l'honneur, en invitant des influenceurs dans le magasin, et en diffusant l'événement en direct du Japon sur TMall ", s'enthousiasme-t-elle.
 

TMall : un business-model basé sur la commission



TMall n'est pas un détaillant. La plateforme fonctionne en prélevant un pourcentage sur le chiffre d'affaires des marques qu'elle héberge, autour de 5%. L'an dernier, ses recettes ont progressé de 34%, grâce à l'énorme quantité de marques qui opèrent via sa plateforme.

"Toutes les marques que nous distribuons expliquent leur histoire, leurs valeurs et leurs principes de fabrication. Il est important de développer des contenus vidéo engageants, en emmenant les clients directement dans l'usine où les produits ont été confectionnés." 

La particularité de la plateforme, c'est qu'elle fournit des informations à ses partenaires sur la popularité des différentes marques, et met à disposition des données pour déterminer le meilleur emplacement commercial ou les revendeurs les mieux adaptés à leur offre. "Dans l'esprit des consommateurs chinois, les marques occidentales sont parfois comparées à des marques qu'elles jugent pourtant très différentes. Elles sont souvent très étonnées", sourit-elle.

"Aujourd'hui, les consommateurs chinois achètent avec un téléphone à la main ; dans le magasin, ils montrent une image du produit qu'ils veulent acheter, qu'ils ont découvert en Chine, sur Internet", insiste Christina Fontana, qui nuance l'obsession actuelle sur la génération Y. "Nous préférons parler de différentes étapes de la vie, de 18 à 24 ans par exemple, les consommateurs vont encore à l'université. Tout change quand ils trouvent un emploi. Nous ciblons les consommateurs de manière plus fine, à partir de la génération Z", précise-t-elle.

"Nous encourageons chaque marque à mettre à profit les technologies du site pour leur propre promotion. C'est mathématique : le e-commerce est très puissant en Chine parce que la surface de vente est beaucoup moins étendue qu'en Amérique", insiste Christina Fontana. Ce qui explique en partie pourquoi Alibaba a gagné 100 millions de consommateurs l'an dernier.
 
La dernière initiative du groupe : une joint venture avec Net-a-Porter, mise en place le mois dernier. "Ce projet nous tient à coeur, surtout pour les petites marques qui font leur entrée sur le marché chinois. Net-a-Porter et Mr. Porter ont établi un véritable modèle de vente au détail, en achetant des marques avant de les distribuer dans des boutiques e-commerce multimarques. C'est un très bon moyen de les présenter à de nouveaux consommateurs. Ils font un excellent travail pour dénicher les jeunes créateurs."
 
Par ailleurs, le mois dernier, TMall a présenté une série de marques chinoises pendant les Fashion Weeks de New York, Milan et Paris, et devrait renouveler l'initiative en septembre prochain. Quand on lui demande pourquoi aucun créateur chinois, ni même originaire du BRICS (Brésil, Russie, Inde, Chine, Afrique du Sud), n'a réussi à recueillir un succès véritablement international, elle répond : "C'est une question qu'on s'est posée. On pourrait aussi se demander pourquoi aucune des grandes marques chinoises - dont certaines réalisent un chiffre d'affaires supérieur à un milliard de dollars - ne s'est développée en Occident". Comme Li Ning, l"équipementier sportif fondé en 1990 par un ancien gymnaste olympique, ou encore PeaceBird, qui présente ses collections à Paris.

Affaire à suivre.

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