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18 mai 2021
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Réouverture des commerces: l'écoulement des stocks, premier défi de la reprise

Publié le
18 mai 2021

A l’heure où les détaillants et enseignes rouvrent leurs portes, FashionNetwork.com se penche sur le problème des stocks saisonniers accumulés, qu’il faut aujourd’hui écouler rapidement en tentant de sauver les trésoreries. Dirigeants et fédérations nous parlent du délicat processus qui s’amorce.


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Depuis un an, les angoisses des commerçants, détaillants indépendants comme enseignes, sont nombreuses. Parmi elles, la gestion des stocks est une véritable épée de Damoclès au-dessus de la tête des acteurs de la vente de vêtements, d’accessoires et de chaussures, qui ont subi trois confinements en un an.

Le gouvernement et les équipes du ministère de l’Economie ont reconnu cette pression qui pèse sur l’activité et la capacité d’investissement des entreprises. Ainsi, Bercy a déjà présenté le plan d’aide sur les stocks qui s’adresse aux commerçants indépendants. L’officialisation d’un accompagnement des enseignes sur ce thème devrait intervenir dans les prochains jours, afin qu’un soutien sur la dépréciation des stocks soit formalisé. Ce dispositif devrait, selon les informations de FashionNetwork.com être adossé à celui des coûts fixes.

Reste que le niveau de stocks avant la réouverture des commerces était délicat à évaluer. “Il y a des stocks, mais moins qu’à l’issue du premier confinement, estime Pierre-François Le Louët, président de la Fédération du prêt-à-porter féminin. Bien sûr, cela dépend des typologies d’entreprises mais nous avons relevé globalement une plus grande flexibilité dans la crise. Les détaillants ont moins commandé, les marques ont moins fabriqué."

Au niveau géographique, les grandes villes ont semble-t-il particulièrement souffert. A commencer par Paris, vidée de ses touristes et d’une part de ses travailleurs. Les petites agglomérations auraient elles mieux résisté, et notamment les villes de bord de mer.

“L’an dernier, tout le monde a été pris de court et tétanisé par la situation, estime Bryan Assouline, cofondateur de la marque Reiko. Cette année, c’est différent. Nous avions déjà sous-produit pour le printemps-été 2021 et nous avons été très vigilants en ce qui concerne les pièces de saison. Cela fait que nous ne sommes pas avec des niveaux de stocks très élevés, surtout que cette année nous avons pu nous appuyer sur les ventes en ligne. Nous avons la chance d’avoir une grande part d’intemporels, notamment dans les pantalons que nous allons faire glisser sur la saison suivante."

“C’est un vrai travail d’orfèvre pour composer l’assortiment des magasins, insiste de son côté Antony Bacle, codirecteur d’Eram. La première tâche effectuée par les équipes en magasins a été de rapatrier la fin de la collection hiver. Les livraisons en boutiques ont repris en mai, et nous mettons en avant le plein été dès ce mercredi”. L’entreprise s’attend à une reprise progressive, et espère voir rapidement publier le décret sur l’aide aux coûts fixes pour les entreprises de mode. L’enseigne rappelle aussi avoir développé une collection permanente dans l’optique de limiter les démarques tout au long de l’année.

“Une énorme épine dans le pied”



Chez Grain de Malice, la responsable pilotage achats et ventes Carine Dammerey estime que les récentes adaptations du sourcing vont aider lors de cette reprise. “Nous avions déjà commencé à augmenter la part d’achats à court terme depuis plusieurs saisons, et c’est aujourd’hui primordial de pouvoir réagir vite. Nos fournisseurs répondent présents quand il faut accélérer ou rapidement freiner”, explique la responsable, précisant que l’entreprise avait minimisé les achats en avril, et n’avait pas encore commandé le plein été quand le troisième confinement a été annoncé.


Derniers préparatifs dans une boutique Grain de Malice - GDM



Pour Ninny Wu, cofondatrice avec sa sœur Nathalie de la marque de maroquinerie Nat&Nin, la stratégie a également été dans le contrôle de la production: “Le stock que nous avons a déjà été réduit puisqu’il a été produit lors du premier confinement, explique la dirigeante. Nous sommes obligés d’être prudents dans nos achats de matières premières, surtout que la hausse de leurs prix et de celui du transport est déjà effective”.

Au contact de nombreuses marques et enseignes en tant que partenaire de leur stratégie omnicanale, Jérémie Herscovic, directeur général de la société SoCloz, constate lui aussi que les stocks pèsent moins qu’en sortie de premier confinement. “Il n’empêche que cela reste une énorme épine dans le pied des acteurs du secteur, estime-t-il. Nous l’avons vécu l’an passé, une fermeture de deux mois des boutiques a un impact négatif sur l’ensemble de l’exercice. Bien sûr, les solutions comme le click & collect, le ship from store, la préparation en magasin,  ont progressé de manière impressionnante. Mais quand vous faites +50% sur une activité qui représentait 10% de votre chiffre, cela ne représente que 15% au final. Au mieux, certains, en activant le plus de solutions digitales possibles, ont atteint autour de 30% de leur activité normale.”

Malgré la lassitude des équipes, malgré la crainte de voir les clients s’être tournés vers d’autres modes de consommation, les attentes sont grandes autour de cette phase de réouverture des commerces. “Tout le monde a très envie de rouvrir, confirme Pierre-François Le Louët. Et ce que l’on voit aux Etats-Unis et en Grande-Bretagne avec un revenge shopping est encourageant. Le secteur a besoin de voir le consommateur revenir en magasin pour acheter et acheter mieux. Et après un an, on peut attendre que les clients aient envie de nouveau de s’habiller autrement qu’en jogging pour sortir et se retrouver."

“’J'ai envie d’être positif et de croire au retour des clients. L’an passé, après la réouverture, nous avons ressenti pendant deux mois une augmentation forte de la consommation par rapport à l’année précédente, appuie Jérémie Herscovic, de SoCloz. J’anticipe à nouveau un effet euphorisant. Mais le problème c’est que cela ne permettra pas un rattrapage et que l’on se retrouve déjà avec ce qui tue le retail. Les enseignes sont ‘piquouzées’ à la promo. Ils ont le stock. Que vont-elles faire? L’écouler avec une moindre marge ou le garder? La plupart ont vraiment besoin de trésorerie.”

La tentation des soldes anticipés



Dans cette situation revient sans surprise l’éternel débat sur les dates des soldes. En 2020, l’effet du report des soldes à la mi-juillet, réclamé par les indépendants, a été en demi-teinte. L’expérience a même été vécue comme une catastrophe par les commerces de Paris et de plusieurs grandes agglomérations désertées pendant l’été. Le gouvernement mène actuellement une consultation autour des soldes d’été 2021.

La fédération Procos pour le commerce spécialisé et la Fédération du commerce coopératif et associé (FCA) ont pris position pour des dates avancées. Une position qui ne fait, encore fois, pas l’unanimité, les enseignes réclamant pour leur part un rallongement de la période, tandis que les indépendants souhaitent repousser le démarrage des soldes (lire notre article dédié).


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“Nous avons été très surpris des résultats d’un sondage que nous avons réalisé à la fédération, explique de son côté Pierre François Le Louët. Plus de 60% des répondants sont pour un maintien des dates. Il y a une envie de ne pas ajouter de la confusion et de retrouver les calendriers habituels. L’an dernier, le résultat a été mitigé, et actuellement la montée en puissance du digital offre déjà l’accès à des promotions fortes.”

Une aspiration à la “normale” partagée par Ninny Wu. “Nous espérons que le gouvernement n’interviendra pas sur les dates des soldes, explique la responsable. Il faut retrouver de la normalité, avec des repères pour les clients comme la fête des mères, et les soldes restent un temps fort de la saison. Il faut que les clients retrouvent du plaisir à venir en boutique, toucher les produits, les essayer... Se faire plaisir, c’est essentiel pour le moral."

Soldes anticipés ou non, la relance va rimer avec prix cassés. Chez Grain de Malice, “l’opération d’ouverture ‘Les Jours Malice’ va être menée durant une semaine (promotions de 20 à 50%) pour écouler le stock printanier plus rapidement”, décrit Carine Dammerey. “On redémarre avec 70% de plein été, et 30% de collection de printemps”. D’autres canaux sont aussi sollicités, comme le magasin outlet de la marque ou les marketplaces (à l’instar de La Redoute).

Pour écouler les invendus du printemps, La Fée Maraboutée a elle aussi préparé des promotions en magasins. ‘Les Jours Maraboutés’ concernent essentiellement des pièces d’entrée de saison, notamment à manches longues. “Heureusement, nous ne sommes pas trop surstockés, car nous avons changé notre pilotage depuis un an, avec plus de flexibilité et d’achats effectués dans un délai très bref puisque notre sourcing s’effectue à 75% en Europe”, livre Gaëlle Lelong, directrice générale de la griffe de mode féminine.

La voie du déstockage



L’enjeu pour les commerces est d’éviter de voir des centaines ou des milliers de produits affecter leurs capacités logistiques, ou de rapidement se déprécier dans leurs bilans comptables. Nombre d’acteurs ont donc cherché des voies d’écoulement, avec là encore une place de choix pour le digital. Certains, comme Nat&Nin, ont développé à l’occasion de la crise des espaces "outlet" sur leur site avec des rabais à -30% ou -60%. D’autres ont eu recours aux “ventes privées”. 

Si certains acteurs nous indiquent vouloir avant tout protéger leurs marges durant cette phase de réouverture, beaucoup savent que les plus gros acteurs vont les entraîner vers des ventes à prix barrés. Des mastodontes du secteur qui vont vouloir écouler le plus rapidement possible leurs stocks afin de ne pas pénaliser leur redémarrage. Ce qui, avant-même la réouverture des commerces, a donné aux acteurs du déstockage un rôle clef dans cette phase de redémarrage. Non sans certaines précautions prises par les commerçants.


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“Je suis optimiste, avance Bryan Assouline. Pour ce qui ne sera pas vendu lors des soldes, nous aurons recours aux filières d’écoulement classiques, comme les plateformes de déstockage en ligne et à l’étranger. Mais nous ne ferons pas d’opération massive. Cela peut être tentant d’aller vite, mais je crois qu’il est très important dans cette période de protéger la valeur de la marque, son image qualitative. Nous arriverons à écouler ces collections, mais je pense que pour le faire correctement, cela nous prendra deux années.”

Chez Eram, on indique que seules “les très mauvaises séries” seront confiées à des déstockeurs. Chez Grain de Malice, le recours aux soldeurs ne se fera également qu’en “dernier recours”. Mais d’autres ont depuis le premier confinement fait le chemin inverse, les outlets français ayant continué à signer de nouvelles enseignes en 2020. Signe qui ne trompe pas quant aux besoins d’écoulement.

“Nous avons toujours été un débouché pour les stocks, mais la fermeture des commerces a donné une importance nouvelle aux implantations en villages de marques. Qui, parce qu’ils sont à ciel ouvert, ont échappé à une partie des fermetures”, nous explique un dirigeant du secteur. “Là où nous étions un débouché, nous sommes devenus un relais de croissance avec cette crise”.

Écouler les stocks, mais à quel rythme?



Outre les outlets physiques, les marques ont aussi à disposition les acteurs du digital qui se sont positionnés ces dernières années sur les stratégies d’écoulement. Leurs armes premières sont une forte audience et des ventes événementielles à même de générer un écoulement rapide des pièces. Mais cela peut aussi altérer l’image d'une marque, comme le souligne le guide des plateformes européennes de déstockage proposé par la Fédération française du prêt-à-porter féminin. Une stratégie d’écoulement raisonnée et étalonnée est hélas devenue un luxe que peu peuvent s’offrir en cette période de relance.


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“Dans le cadre d’une reprise euphorique, l’écoulement des stocks apportera aux détaillants et enseignes le cash dont ils ont besoin”, nous explique un spécialiste du domaine. “Mais beaucoup vont être dans la course, pour se débarrasser de ces stocks. Le secteur était malade depuis des années, avec en particulier des prix de l’immobilier qui l’ont mis à plat. Et on sait que la demande a baissé, mais pas l’offre. Dans le meilleur des cas, les commerces parviendront à récupérer un peu de marge. Mais ils vont être confrontés à leurs remboursements d’échéances”.

Directeur général de l’Alliance du commerce, Yohann Petiot confirme: “Je ne serais étonné que ces réouvertures riment avec une volonté de se débarrasser au plus vite des produits de début de saison. Ceux qui sont fermés depuis fin janvier dans les centres commerciaux ont sur les bras les produits d’entrée et milieu de saison qui ne seront pas forcément d'actualité mi-mai s’il fait beau”, indique le responsable. Pour qui cet empressement dépassera le cadre des déstockeurs, “qui, après un an de crise, ont déjà des stocks à n’en plus finir”.

Pour le PDG de TBS, Julien Bianchi, le déstockage n’est pas la seule voie à explorer. “Aller à l’export et chercher de nouveaux comptes est également possible. Mais il n’y a pas de solution miracle, il faut faire preuve de créativité”, explique le responsable.

A l’heure actuelle, les enseignes sont toujours dans l’attente d’une annonce gouvernementale concernant les aides liées aux stocks. L’ensemble des acteurs de l’habillement et de la chaussure doivent quant à eux faire face aux échéances liées à leurs emprunts classiques, ainsi qu’à celles des PGE (prêts garantis par l’Etat), démultipliant l’importance que vont prendre les stocks et leur mode d’écoulement dans les jours qui s’annoncent.


La rédaction

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