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5 avr. 2018
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Sandrine Lilienfeld (Caroll) : « Devenir la marque maîtresse du vestiaire des femmes de 40 à 50 ans »

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5 avr. 2018

Créée en 1963, Caroll espère amorcer un certain renouveau à travers ses collections, son univers de boutique et entend ainsi recruter de nouvelles clientes. Sandrine Lilienfeld, PDG de l’enseigne de mode féminine depuis janvier 2017, explicite ses défis à FashionNetwork.com. Son propriétaire, le groupe Vivarte, affirme son soutien à cette marque revendiquant sa profitabilité, alors que celui-ci réduit actuellement fortement son portefeuille.


Sandrine Lilienfeld est diplômée de l'Essec. - Caroll


FashionNetwork.com : Vous êtes arrivée à la tête de Caroll il y a un peu plus d’un an maintenant. Quel défi avez-vous accepté ?

Sandrine Lilienfeld : J’ai accepté le job car je croyais beaucoup au potentiel de la marque, que je trouvais très jolie : on a toujours besoin, en dehors d’un indice rationnel, d’un peu d’inspiration dans nos métiers. Surtout, son positionnement m’intéresse beaucoup, c’est le haut de gamme d’une marque populaire, dans le sens où Caroll compte 250 points de vente à travers la France (dont une centaine d’affiliés). Ses gammes de prix sont assez proches d’une marque comme Comptoir des Cotonniers. Ce n’est pas du luxe abordable, pas non plus du mainstream, et sur ce créneau il y a très peu de monde.

Le challenge qu’on s’est donné est de devenir la marque maîtresse du vestiaire des femmes de 40 à 50 ans, sur notre segment de marché. Ces femmes ne sont plus du tout les mêmes qu’avant et beaucoup de marques ne l’ont pas réalisé et livrent des interprétations trop classiques. En termes de look aujourd’hui, cela n’a rien à voir avec ma mère quand elle avait cet âge : les enfants sont élevés, ce sont des femmes extrêmement modernes et connectées, qui se connaissent, qui connaissent leur corps, qui ont gagné une certaine assurance et un pouvoir d’achat extrêmement intéressant. Elles n’ont pas envie ressembler leur mère et à leur fille non plus. Dans un marché où tout le monde s’intéresse aux trentenaires, où tout le monde rêve de luxe abordable et alors que le bas de gamme est saturé d’acteurs incontournables, on a une carte à jouer.

FNW : Vous avez également travaillé par le passé au sein du groupe Vivarte, entre 2004 et 2013 (chez Kookaï puis à la direction générale de Naf Naf). Cela a-t-il compté ?

SL : Ma rencontre avec Patrick Puy a été déterminante, c’est une histoire d’intuition. J’apprécie que, durant son parcours, il n’ait jamais fait de retail. Ses réflexes viennent d’ailleurs et le groupe a vraiment besoin d’un regard rationnel. J’aime les gens qui décident vite et les personnalités pas ternes. Le marché du retail est bouleversé, on vit la troisième révolution et dans ce contexte, la consanguinité n’est bonne nulle part. Dans mes équipes, je fais davantage appel à des gens qui viennent d’ailleurs, c’est-à-dire pas forcément issus d’une école de commerce, mais présentant des profils scientifiques ou artistiques par exemple.


La boutique de la rue des rosiers à Paris, rouverte en novembre 2017. - Caroll


FNW : Vous avez ouvert à l’automne dernier une boutique expérimentale à Paris. Le parc Caroll doit-il être repensé ?

SL : La problématique est de réenclencher la dynamique commerciale du réseau, dans un marché du prêt-à-porter qui en France est passé de 13 à 10 milliards d’euros en quelques années, tandis qu’Internet prend un certain nombre de parts de marché. Nous devons envisager différemment le rôle de la boutique, en se disant que les générations qui arrivent ont également une vision très différente. Le magasin de la rue des rosiers à Paris, où Caroll ne présente que la partie la plus pointue de son assortiment, est un laboratoire où l’on mène plusieurs expériences orientées client. On teste par exemple différents ateliers, comme la broderie sur vêtement, le tatouage de sacs, des séances de beauté des mains où les clientes peuvent se faire tatouer un imprimé de la collection sur les ongles, et nous organisons aussi des rendez-vous de conseil personnalisé menés par la styliste et blogueuse Isabelle Thomas.
 
Notre objectif à terme est d’avoir quelques boutiques comme celle-là où nous n’allons pas travailler uniquement sur la vente de produits. Dans les six mois, nous allons dupliquer ce concept avenue Louise à Bruxelles. Et pourquoi pas à Anvers par la suite, une ville très créative, tête de pont vers un territoire de conquête plus au Nord. En France, notre réflexion porte sur trois à quatre emplacements, notamment Strasbourg.

Enfin, pour aller vers des expériences moins sensorielles mais plus technologiques, nous installerons en mai un miroir connecté dans notre flagship d’Opéra, grâce auquel la cliente peut se prendre en photo et partager ses clichés sur les réseaux sociaux, mais aussi tester virtuellement des looks.  

FNW : Devez-vous procéder à des arbitrages sur des emplacements qui ne seraient plus satisfaisants ?

SL : Nous avons quelques sujets d’optimisation du parc, mais très peu, cela concerne cinq à six emplacements. Le magasin de La Défense par exemple va fermer pour ouvrir au second semestre une boutique deux fois plus grande dans ce même centre commercial. Nous déployons actuellement notre nouveau format de magasin, testé à Berne depuis octobre dernier. Les points de vente de Vélizy 2 et de Bordeaux ont été modernisés. J’aimerais d’ici trois ans ne plus avoir de magasins qui datent de plus de six ans, c’est l’objectif que l’on se fixe.

FNW : Comment se comporte la marque à l’export ?

SL : L’Espagne est le deuxième marché de l’enseigne après la France, avec 70 corners dans les grands magasins El Corte Inglés, où elle fait souvent partie du top 3 des ventes. C’est le pays prioritaire pour un déploiement de boutique à l’enseigne, en commençant par Madrid. Mais on attend pour cela la validation du groupe. Nous réfléchirons par la suite à une première boutique en Italie, un pays que nous couvrons par le biais de 25 corners chez Coin. Caroll est active également en Belgique (11 magasins et 15 corners chez Inno) et en Suisse (12 boutiques et 15 corners chez Manor), où nous inaugurerons cet été un emplacement phare à Genève. En Allemagne et au Royaume-Uni, où la marque n’est pas présente, l’objectif est de tester ces marchés en corner.

Notre réseau de master franchises va également s’agrandir : après le Maroc et la Tunisie, un partenariat va être signé en Algérie, pour ouvrir de premières boutiques à Alger et Oran. Nous cartonnons aussi au Liban, ce qui nous conduit à chercher un partenaire en Israël.


Collection printemps-été 2018 - Caroll


FNW : Les collections évoluent-elles pour mieux toucher le cœur de cible ?

SL : Les équipes ont effectué un énorme travail sur l’offre. Nos points forts sont toujours le pantalon, le pull (pièce maîtresse du lancement de la marque) et la chemise. Nous sommes moins bons sur la robe, un produit sur lequel nous voulons devenir extrêmement forts. D’autre part, la structure des collections a été retravaillée par vestiaires plus courts, renouvelés tous les 15 jours, et racontant une histoire de mode complètement différente en termes de look et de couleurs. Côté textile, j’ai souhaité que l’on utilise pour le printemps-été 2018 plus de matières naturelles (coton, lin et soie), qui n’étaient plus suffisamment présentes.
 
FNW : L'e-commerce est-il un axe de développement pour Caroll ?

SL :
La part des ventes e-commerce est encore trop faible, aux alentours de 5 % des ventes totales. Ceci dit, la croissance est incroyable sur notre site Web, signe que notre nouvelle collection plaît. La part de ventes réalisées hors périodes de soldes a considérablement augmenté et nous allons surtout lancer notre tout nouvel e-shop courant août.

En attendant, on s’est rendu compte que l’on attirait sur Internet beaucoup de femmes de 30 à 40 ans, un indice intéressant sur la dynamique de la marque. Les clientes nouvellement recrutées via la carte fidélité ont six ans de moins que la moyenne de notre base en boutique et 13 ans de moins sur Internet.

Il faut dire que Caroll a été dans le passé la marque référente des jeunes femmes qui cherchaient une tenue pour aller travailler (le bon pantalon, la belle chemise) et on le redevient petit à petit. Caroll était devenue un peu trop classique. La clientèle avait vieilli avec la marque, on était sur une moyenne d’âge qui avait pris 10 ans en 10 ans… Le but, ce n’est pas de virer les seniors, pas du tout, mais on ne peut pas avoir une marque qui prend un an chaque année. Après, vous allez au-dessus du cœur de cible et ça ne veut plus dire la même chose.

FNW : Quel est le chiffre d’affaires de la marque ?

SL : Caroll a généré 260 millions d’euros de ventes sur l’exercice 2016/17, baissant très légèrement par rapport à l’année précédente. Dans l’optique de faire rayonner la marque à nouveau, nous avons écrit la relance de Caroll pour le printemps-été 2018 (collection en magasin depuis le 1er mars). Nous allons d’ailleurs faire partie des rares marques à signer ses chiffres historiques en mars 2018, un mois durant lequel les distributeurs de mode ont connu un vrai stop économique en France.  

Je suis confiante pour la suite car j’ai obtenu le nombre d’investissements que j’ai demandé sans frustration aucune (Internet, intelligence artificielle, remodeling des boutiques…). Caroll ne fait pas partie des réseaux cassés du secteur, elle demeure une marque rentable et a toujours été préservée dans le groupe quand celui-ci était dans la tourmente. Il n’y a pas beaucoup d’enseignes qui font plus de 10 % d’Ebitda actuellement !

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