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Paul Kaplan
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8 juil. 2020
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À quelques heures de la "Paris Fashion Week Online" masculine, rencontre avec Pascal Morand et Séverine Merle

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Paul Kaplan
Publié le
8 juil. 2020

Ces derniers mois, la Fédération de la Couture et de la Mode — l'instance dirigeante de la mode française — a eu du pain sur la planche. L'organisation supervise en effet six Fashion Weeks chaque année, et doit composer avec les très exigeantes grandes maisons, les jeunes talents ambitieux et les egos surdimensionnés des créateurs, afin de construire des calendriers cohérents pour la haute couture, le prêt-à-porter féminin et masculin — soit près de 400 défilés par an. À Paris, peut-être la capitale de la mode la plus influente et la plus scrutée du monde, la lutte contre le coronavirus et les mesures de confinement — qui ont pris effet juste après la fin de la Fashion Week de mars — ont posé des obstacles majeurs à la Fédération. Après avoir repoussé les saisons de la haute couture et de la mode masculine, l'institution a pris la décision courageuse d'organiser ce mois-ci deux événements exclusivement numériques. La saison de la haute couture s'est terminée mercredi soir après trois jours de festivités virtuelles, tandis que la Fashion Week masculine est dans les starting blocks — l'événement dure cinq jours et débute jeudi matin. Le passage au numérique a impliqué des efforts particuliers de la part de la Fédération, qui a créé — en collaboration avec Launchmetrics — deux plateformes dernier cri pour accueillir les deux Fashion Weeks. L'occasion pour Paris de se remettre à niveau dans le domaine du numérique — de ce point de vue-là, la Ville Lumière était à la traîne par rapport à ses rivales Londres, Milan et New York, malgré sa domination mondiale du côté de la création. D'ailleurs, pas moins de 67 marques s'apprêtent à participer à la première Paris Fashion Week Online de prêt-à-porter masculin.


Pascal Morand - Pascal Montary


 
C'est pourquoi nous avons rencontré Pascal Morand, président exécutif de la Fédération, et Séverine Merle, PDG de Celine et présidente de la Chambre Syndicale de la Mode Masculine, l'une des trois entités qui composent la Fédération. Nous avons discuté de leur conception de la diversité sur leur nouvelle plateforme de mode masculine ; ils nous ont parlé du processus de sélection des nouveaux membres du calendrier officiel, de la créativité à l'ère du numérique et de leur partenariat avec Launchmetrics. Cette saison, la Fédération a collaboré avec des institutions culturelles de premier plan, tout en établissant des liens particuliers avec la Chine par le biais de l'agence Hylink — mais pour Pascal Morand et Séverine Merle, le monde du numérique ne remplacera jamais la réalité physique.

 
FNW : Pourquoi était-il si important de créer une nouvelle plateforme pour la saison de la mode masculine ?

Pascal Morand : Au même titre que pour la haute couture, il nous est effectivement apparu très important de créer une plateforme pour la mode masculine. La crise sanitaire a généré difficultés et bouleversements que les marques ont dû et doivent encore surmonter. Il nous fallait répondre présent et nous nous sommes tous mobilisés pour ce faire. La Fashion Week de mode masculine est un moment incontournable. Elle prend une nouvelle forme avec en l’occurrence les vidéos créatives diffusées dans le cadre du calendrier officiel, ainsi qu’avec tous les autres contenus amenés par les marques et les institutions culturelles, également issus de notre coopération avec les médias, etc. Elle inclut une partie dédiée à Sphere, le showroom des marques émergentes de la Fédération, qui prend ainsi une forme virtuelle. La plateforme est jalonnée de films, photos, interviews, tables rondes et concerts. Elle a une vocation culturelle et créative à l’image de la mode et de Paris.   
 
Séverine Merle : Lorsque nous avons réuni les membres de la Chambre Syndicale, en plein confinement, par Zoom, il y a eu un formidable élan d’adhésion à ce projet de plateforme et beaucoup ont ensuite contribué à son enrichissement. Une innovation aussi importante suppose beaucoup d’échanges et de réflexion collective. C’est ce que nous avons fait en interagissant avec les marques parties prenantes. Leur diversité a enrichi toutes nos réflexions. Ce que nous avons entrepris était aussi une manière de témoigner de la vitalité de la place de Paris, en dépit de la crise que nous traversons. 
 
 
FNW : Pourquoi la Fashion Week masculine de Paris attire-t-elle autant de grands créateurs étrangers ?

PM : Il faut leur demander ! Ce qui est clair en tout cas, c'est que la mode masculine prend de plus en plus d’importance. La Fashion Week homme parisienne y a contribué et continue de le faire. En mode masculine comme en mode féminine, c’est à Paris qu’un créateur et la marque qui lui est liée viennent se faire reconnaître et adouber. C’est aussi parce qu’à Paris s’opère la rencontre des arts, qu’ils soient vivants ou plastiques. Ce caractère singulier est aussi présent dans la PFW Online à laquelle participent notamment le Louvre comme le Musée des Arts Décoratifs, le Théâtre du Châtelet comme le Palais Galliera, ainsi que les artistes de la scène musicale contemporaine avec des concerts de Radio Nova.

SM : La force de la Paris Fashion Week homme de Paris est qu’elle réunit les Maisons membres ou invitées, suite à une sélection très rigoureuse, des plus établies au plus jeunes, et de toutes origines, à l’échelle mondiale. Le comité de sélection est aussi exigeant qu’il est ouvert à tous. Les Maisons candidates et les créateurs le comprennent bien car c’est le gage de notre qualité.
Nous l’avons d’ailleurs tenu cette fois-ci également, bien que les circonstances soient particulières, et nous avons eu de belles candidatures. Nous en avons retenu six qui ont rejoint le calendrier officiel, en nous attachant à détecter également leur potentiel de créativité digitale.



Séverine Merle - Laurence Guenoun



 
FNW : Cette saison, qu'est-ce qui vous enthousiasme le plus ?
 
SM : Cette saison sort complètement de ce que nous avons vécu à ce jour. La transposition digitale exige nécessairement un exercice renouvelé de créativité. Elle sera pleine d’inédit et de surprise, dans le bon sens du terme. Nous allons montrer et diffuser des contenus nouveaux de différentes natures, créés en très peu de temps dans un contexte si particulier. Ce cocktail d’énergie, de diversité et de créativité est très stimulant.
 
PM : L’univers digital ne se substitue pas à l’univers physique. C’est un autre monde qui procure des sensations et une émotion souvent différentes.  Cela donne lieu en quelque sorte à une créativité augmentée, comme on parle de réalité augmentée. On est d’autant plus en attente des productions digitales réalisées. 
 

FNW : Pourquoi tant de nouvelles maisons sont-elles venues s'ajouter au calendrier cette saison ?
 
SM : C'est lié à deux facteurs. Le premier tient à ce que nous avons réuni les défilés et les présentations, soit les deux manières pour une marque d’être présente dans le calendrier officiel. Nous n’avions pas de raison d’effectuer cette différenciation dès lors qu’il s’agissait de créations digitales. Le second provient du fait que le projet a recueilli une grande adhésion, au-delà du nombre que nous avions imaginé au départ compte tenu des difficultés rencontrées liées à la préparation de collections en plein confinement. En comptant défilés et présentations, la Fashion Week homme comprenait 82 participants en janvier. La Fashion Week Online en comprend 67. 
 
PM : Ce nombre est déjà objectivement un succès en soi. Qui plus est, la plupart des marques qui n’ont pu être présentes au titre du calendrier officiel le sont dans le magazine de la plateforme, de différentes manières, aussi dans une partie réservée aux Maisons. Ainsi, la communauté mondiale des marques de création en mode masculine est très largement représentée et réunie virtuellement à Paris.  
 

FNW : Comment espérez-vous maintenir la position de Paris en tant que première capitale de la mode ?
 
PM : Nous vivons une époque qui connait de grandes turbulences. Elle traverse une lourde crise sanitaire, au moment même où se confirme la révolution numérique et où s’affirme l’impératif du développement durable. Il en est de même pour celui du respect de la diversité. Tout cela simultanément. C’est un nouveau monde dans lequel nous sommes entrés et à cet égard la crise de la Covid-19 a accéléré les choses. Dans ce contexte, la force et la vitalité de la place de Paris dans la mode sont intactes, tout comme son attractivité. Ce qui importe est d’être incessamment tourné vers l’avenir et de cultiver l’innovation tout autant que la création, en liaison avec les partenaires de la PFW et notamment ceux qui nous ont rejoints pour les projets Online. 
 
SM : La position de leader ne doit pas nous inciter à nous reposer sur nos lauriers, bien au contraire. Être à l’écoute et se montrer créatif et innovant en permanence, ce sont des règles d’or. C’est d’autant plus vrai que l’on est une marque mondiale et c’est le cas de la Paris Fashion Week, notamment pour la mode masculine. Cette crise nous a poussés plus que jamais à innover et à développer notre créativité. La montée en puissance de notre audience digitale servira autant les Membres et Maisons du calendrier que les marques émergentes françaises et internationales, que la Fédération soutient. Nous avons établi des partenariats avec les grands réseaux sociaux ainsi qu’avec le groupe Canal et le New York Times, afin que les vidéos puissent être aisément accessibles à tous au niveau mondial, étant diffusées à l’heure dite du calendrier officiel. Cette dématérialisation est pleinement compatible avec l’identité parisienne, même si elle est en l’occurrence virtuelle. 


Shutterstock


 

FNW : Quels sont les points forts apportés par Launchmetrics à la plateforme ?

SM : Pour être réussie, une plateforme doit être facile d’utilisation afin d’être appropriée par ses utilisateurs, tout en satisfaisant bien sûr aux codes esthétiques de la Maison, et doit pouvoir inclure de nombreux contenus. C’est ce que nous voulions pour la plateforme et c’est ce qui a été fait. C’est précieux pour aujourd’hui et prometteur pour l’avenir. Il faut ajouter à cela l’interoperabilité de la plateforme avec les principaux players, tel un hub, qui permet de servir avant tout les maisons et leur visibilité sur leurs propres plateformes. 
 
PM : Plutôt que de nous atteler seuls à ce projet, nous avons fait appel à Launchmetrics, dans le cadre d’un partenariat qui a pris la forme d’une co-traitance bien plus que d’une sous-traitance. L’expertise de Launchmetrics en traitement de données et technologies de l’information dans la mode et le luxe est reconnue. Ce que Launchmetrics a également apporté est une ouverture d’esprit et une proactivité qui ont rendu très fluide le travail conjoint des deux équipes. Ainsi celle de Launchmetrics a-t-elle réalisé les deux plateformes (Haute Couture et mode masculine) aussi bien que nous pouvions l’espérer.  
 

"Rien ne peut remplacer les défilés physiques et la Fashion Week homme au sens traditionnel reprendra ses droits" - Séverine Merle



FNW : Vous avez également collaboré avec l'Institut Français de la Mode. Pourquoi ?

PM : La Fédération et l’Institut Français de la Mode entretiennent des liens encore renforcés après la fusion réalisée avec l’École de la Chambre Syndicale de la Couture. Cela vaut pour les programmes comme pour le corps professoral et bien sûr les étudiants. Nous travaillons désormais ensemble sur différents sujets essentiels tels que le soutien aux marques émergentes et le développement durable. Quand nous avons commencé de travailler sur notre projet de plateforme, nous avons sollicité un détachement de Benjamin Simmenauer, brillant professeur de l’IFM et très au fait de la synergie des industries créatives, pour être le curateur du magazine pendant la préparation et la réalisation du projet. L’IFM l’a accepté avec plaisir et Benjamin a ainsi rejoint l’équipe qui a travaillé intensément dans un climat de start-up. Différents contenus émanant du corps professoral ont également été intégrés. Les étudiants de la majeure image du Master of Arts de création ont aussi prêté main forte en apportant des projets de contenus créatifs et pertinents. 
 
SM : L’Institut Français de la Mode est très connu et reconnu en tant qu’école formant aux métiers du savoir-faire technique, du management et de la création, ses programmes allant du CAP au doctorat. C’est aussi un lieu riche d’échanges où se croisent en permanence l’économie et la création, où l’on suit de très près et comprend les mutations de la mode et les mouvements sociétaux, par le corps professoral et les étudiants. Cela rejaillit dans ses programmes et l’ensemble de ses activités. Nous voulions inscrire notre projet dans une perspective très contemporaine de réflexion et d’action. La relation avec l’IFM était dès lors très naturelle. 
 


Louis Vuitton - Fall-Winter2020 - Menswear - Paris - © PixelFormula



FNW : Selon vous, quelles innovations de cette saison de prêt-à-porter masculin seront intégrées à la Paris Fashion Week quand les marques pourront à nouveau organiser des défilés en public ?
 
SM : Rien ne peut remplacer les défilés physiques et la Fashion Week homme au sens traditionnel reprendra ses droits. Mais ce n’est pas pour autant que la Fashion Week digitale sera appelée à s’effacer. Nous allons faire le point avec les membres de la Chambre Syndicale de la Mode Masculine et l’ensemble des participants après le 13 juillet. On peut imaginer que la plateforme et le dispositif que nous avons mis en place ont de beaux jours devant eux pour augmenter l’impact des défilés physiques lorsqu’ils vont à nouveau se tenir. La généralisation de l’accès à tous de la Fashion Week homme, que permet le digital, est vraisemblablement appelée à perdurer et c’est une bonne chose. 
 
PM : Il est certain que la vision sur un écran ne peut remplacer la vision dans le « réel » et qu’il en est de même pour bien d’autres sensations. Il est également vrai que l’empathie qui caractérise les milieux professionnels lors d’une Fashion Week physique ne peut être reproduite dans le monde digital. Nous constatons de la part des créateurs et des marques le souhait de retrouver des événements réels et l’unité de lieu. Pour autant, le monde s’achemine vers des événements hybrides et la mode n’y fera pas exception. L’innovation jointe à la création conduisent toujours à un dépassement. Ainsi la Fashion Week physique sera-t-elle enrichie par son volet digital, ce qui est déjà tangible. C’est la création qui est au centre de tout. D’un côté, elle n’a pas de frontière, comme il en est de l’imaginaire des créateurs et des directeurs artistiques. De l’autre, le cœur de la création dans la mode est le vêtement et la collection, qui trouvent leur plein épanouissement dans la présentation et le défilé physique. 
 

FNW : Avez-vous lancé des initiatives spéciales pour le public chinois ?
 
PM : Dès lors que nous avons décidé d’avoir une diffusion mondiale, nous avons noué des liens avec YouTube et Instagram. Il s’imposait d’en faire de même avec les réseaux les plus importants en Chine. La Fédération y était peu active, en tout cas s’agissant des réseaux sociaux. C’est pourquoi nous nous sommes tournés vers Hylink, la première agence indépendante de marketing et communication digitale en Chine. Une fois les bases de la coopération établie, C’est Hylink que nous avons chargé de faire le lien avec Tencent/Wechat et avec les autres grands réseaux sociaux. Le principe est symétrique de celui que nous avons adopté avec notre plateforme de référence : nous avons conçu avec Hylink une plateforme sœur en Chine, qui est hébergée sur Wechat, en liaison avec Tencent vidéo, et dont les contenus sont aussi relayés vers les autres réseaux sociaux. Deux commentateurs réputés dans le monde de la mode et de la création commentent les vidéos, comme ça a été le cas pour la semaine de la Haute Couture.
 
SM : La visibilité sur tous les réseaux sociaux des contenus créés dans le cadre de la Paris Fashion Week Masculine était un élément clé dès le début de nos réflexions. Dans ce cadre nous avons évidemment souhaité nouer les partenariats les plus pertinents possibles en Chine. C’était important, au-delà des grandes Maisons qui ont leur propre force de frappe, pour les marques émergentes, dont on sait les difficultés auxquelles elles sont confrontées. Des millions de personnes pourront ainsi chaque jour voir et le cas échéant découvrir les créateurs de mode masculine. C’est ainsi que nous souhaitons continuer à faire rayonner Paris et la mode masculine liée à Paris. 

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